Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/259

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chose tout au fond, passa les doigts dans ses cheveux, et annexa à sa première assertion ces paroles justificatives :

« Oh ! mon Dieu, non ! du tout ! Elle n’aura rien. Que voulez-vous qu’elle ait ? »

Comme ce sujet de conversation paraissait épuisé et que M. Merdle ne l’était pas moins, Fanny demanda au millionnaire s’il allait prendre Mme Merdle et la voiture avant de rentrer ?

« Non, répondit le banquier, je m’en retournerai par le chemin le plus court et je laisserai Mme Merdle (le grand homme examina la paume de sa main, comme pour y lire sa bonne aventure)… se tirer d’affaire toute seule. Elle n’est pas empruntée, elle n’aura besoin de personne.

— C’est probable, » dit Mme Sparkler.

Un long silence succéda à cette remarque. Fanny, s’enfonçant de nouveau parmi les coussins de son canapé, ferma les yeux et leva les sourcils, comme pour dire encore une fois adieu aux choses de ce bas monde.

« Mais, avec tout ça, reprit M. Merdle, je vous fais perdre votre temps et le mien. Je voulais seulement vous dire un petit bonsoir en passant, vous savez ?

— Charmée, je vous assure.

— À présent, je m’en vais, ajouta M. Merdle en se levant. À propos, pourriez-vous me prêter un canif ?

— La drôle de chose, comme le remarqua Fanny en souriant, de voir une femme dont la paresse avait tant de peine à se décider à écrire un simple billet, prêter quelque chose à un homme d’affaires comme M. Merdle ! N’est-ce pas bien étrange ? »

— C’est vrai. Mais j’ai besoin d’un canif, et je sais que vous avez plusieurs petits nécessaires bien garnis de ciseaux, de pinces, etc. On vous le rapportera demain.

— Edmond, vous allez ouvrir (mais prenez bien garde de rien casser ; vous êtes si maladroit !) la boîte de nacre que vous voyez sur mon petit guéridon, et donnez à M. Merdle le canif à manche de nacre.

— Merci, interrompit le millionnaire ; mais je crois que je préférerais un manche plus foncé.

— En écaille ?

— Merci ; oui. Je crois que j’aime mieux cela. »

Edmond fut donc chargé d’ouvrir le nécessaire d’écaille, et de remettre à son beau-père le canif demandé. Lorsqu’il eut exécuté cette commission, Mme Sparkler dit d’un ton fort gracieux au grand esprit :

« Si vous y faites une tache d’encre, je vous pardonne d’avance.

— Je vous promets de ne pas y faire de tache, » reprit M. Merdle.

L’illustre visiteur tendit alors sa manche à Mme Sparkler, dont la main (poignet, bracelet et tout) se trouva un instant ensevelie sous le vaste parement. Quant à la main du banquier, impossible de deviner où elle était allée, car Fanny ne le sentit pas plus que si