Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/265

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Le coup de marteau du médecin étonna l’Honneur du barreau ; mais, comme il soupçonna tout d’abord que quelqu’un venait le prévenir que quelque autre était en train de le voler ou de lui jouer quelque vilain tour, il descendit promptement sans faire de bruit. Il venait de se rafraîchir les idées avec une lotion d’eau froide sur la tête, afin d’être mieux à même d’embrouiller celles de MM. les jurés, et il avait rejeté en arrière le col de sa chemise, afin de lire plus à son aise et d’étrangler plus commodément les témoins de la partie adverse. Il avait donc l’air un peu effaré lorsqu’il vint ouvrir la porte. Il parut plus effaré encore en apercevant le docteur, qui était le dernier homme qu’il s’attendait à trouver là.

« Qu’y a-t-il donc ? dit l’Honneur du barreau.

— Vous m’avez demandé un jour quelle était la maladie de Merdle.

— Voilà un singulier moment pour répondre à ma question. C’est vrai, je me rappelle vous l’avoir demandé.

— Je vous ai dit que je n’en savais rien.

— Oui, en effet.

— Eh bien ! je connais maintenant sa maladie.

— Mon Dieu ! s’écria l’Honneur du barreau, qui recula d’un pas, en posant la main sur la poitrine de son ami. Moi aussi ! je la lis sur votre visage. »

Ils entrèrent dans la chambre la plus voisine, où le docteur lui donna le billet. L’avocat le parcourut d’un bout à l’autre, cinq ou six fois. Il ne contenait que quelques lignes, mais il n’en paraissait pas moins digne de toute son attention. Il ne trouvait pas de paroles pour exprimer tout son regret de n’avoir pu deviner la chose d’avance. Le plus petit indice, le nom, comme il disait, aurait suffi pour le rendre maître de cette affaire ; et quelle affaire ! Et que n’aurait-il pas donné pour débrouiller le premier un pareil mystère !

Le docteur s’était chargé d’annoncer ce lugubre événement à Harley-street. L’Honneur du barreau, de son côté, se sentait incapable de retourner immédiatement aux embûches qu’il préparait au jury le plus éclairé, le plus distingué auquel il eût jamais adressé la parole, sur lequel (il croyait devoir en prévenir son savant adversaire) ni les sophismes, ni l’abus du talent oratoire ne sauraient prévaloir (c’est ainsi qu’il comptait commencer). Il proposa donc à son ami de l’accompagner jusqu’à la porte, et de se promener dans le voisinage, en attendant qu’il eût rempli sa pénible mission. Ils s’y dirigèrent à pied, afin de retrouver leur sang-froid au grand air. Le jour déjà battait des ailes, chassant devant lui les ombres de la nuit, lorsque le docteur frappa à la porte de l’hôtel de Harley-street.

Un valet de pied, qui brillait en public de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, veillait en attendant son maître… c’est-à-dire qu’il ronflait dans la cuisine, entre deux chandelles et un journal, donnant une preuve de plus de la difficulté qu’il y a, malgré toutes les