Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/301

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mission envers l’homme qui avait jeté sur lui le grappin, Baptiste, même encore en ce moment, lui avait adressé une sorte de salut en le montrant du doigt.

« Eh bien, signore ! acheva-t-il en se tournant de nouveau vers Arthur, j’ai attendu une bonne occasion. J’ai écrit à signor Panco… ; (cette nouvelle forme de son nom parut rajeunir M. Pancks)… de venir m’aider. J’ai montré notre Rigaud, à sa fenêtre, à signer Panco, qui le guettait souvent pendant le jour. La nuit, je me couchais non loin de la porte de la maison ; enfin, nous sommes entrés seulement aujourd’hui, et le voilà ! Comme il n’a pas voulu se monter en présence de l’illustre avocat… titre honorifique sous lequel Baptiste désignait M. Rugg… nous avons attendu tous les trois en bas, et signor Panco a monté la garde dans la rue. »

Vers la fin de ce récit, Clennam avait dirigé son regard vers l’impudent et sinistre visage du sieur Blandois. Lorsque les yeux de ce personnage rencontrèrent ceux d’Arthur, on vit le nez s’abaisser sur la moustache et la moustache se relever sous le nez. Quand ce nez et cette moustache eurent repris ensuite leur position habituelle, M. Rigaud fit claquer ses doigts cinq ou six fois, se penchant en avant pour diriger ce geste vers Clennam, comme si chaque claquement eût été un projectile palpable qu’il lui lançait à la figure.

« Maintenant, monsieur le philosophe ! s’écria Blandois, me direz-vous ce que vous me voulez ?

— Je veux savoir, répliqua Clennam sans chercher à déguiser son dégoût, comment vous osez faire planer une accusation d’assassinat sur la maison de ma mère ?

Oser ! Ho ! ho ! Entendez-vous cela, vous autres ? Oser ? ah ! vraiment ! Par l’enfer, mon petit garçon, je vous trouve bien impudent !

— Je veux détruire ces odieux soupçons continua Clennam. On vous mènera là-bas pour vous faire voir. Je veux aussi savoir ce qui vous a conduit dans cette maison, le soir où j’ai eu si bonne envie de vous jeter du haut en bas de l’escalier. Oh ! vous avez beau froncer les sourcils en me regardant. Je vous connais assez pour savoir que vous n’êtes qu’un fanfaron et un poltron. Ce triste séjour ne m’a pas assez abattu pour m’empêcher de vous dire une vérité si simple et que vous savez si bien. »

Blandois pâlit jusqu’aux lèvres, se caressa la moustache et murmura :

« Par l’enfer, mon petit garçon, vous êtes un peu compromettant pour madame votre respectable mère ! »

Puis il parut un instant indécis ; mais son irrésolution ne dura pas longtemps. Il s’assit avec un geste de crânerie menaçante en disant :

« Faites-moi donner une bouteille de vin. On trouve du vin dans cette baraque. Envoyez un de ces imbéciles me chercher une bouteille de vin. Je ne parle pas avant d’avoir quelque chose à boire. Allons ! oui ou non ?