Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/316

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L’étoile avait éclairé son visage jusqu’à ce moment, lorsqu’elle pencha la tête sur la main de Clennam unie à la sienne.

Il faisait plus sombre quand Arthur l’entoura de son bras, la releva et lui répondit doucement :

« Non, chère, chère petite Dorrit. Non, mon enfant. Je ne dois pas vous entendre parler d’un pareil sacrifice. La liberté et l’espérance me coûteraient trop cher s’il me fallait les acheter à ce prix ; je ne pourrais pas supporter la honte, ni le reproche de les avoir ainsi recouvrées. Mais je prends le ciel à témoin de la reconnaissance, de l’amour que je ressens de votre offre, tout en la refusant.

— Et pourtant vous ne voulez pas souffrir que je vous reste dévouée dans votre affliction ?

— Dites plutôt que c’est moi qui veux vous rester dévoué, ma bien-aimée petite Dorrit. Si à l’époque où vous n’aviez d’autre domicile que cette prison, d’autre vêtement que la robe que vous portez, je m’étais mieux compris (je ne parle que de moi-même) ; si j’avais lu plus clairement dans les secrets de mon cœur ; si, à travers ma réserve et ma méfiance, j’avais entrevu la clarté que je vois briller maintenant, maintenant qu’elle s’est éloignée de moi, et que mes pas chancelants ne pourront jamais la rattraper ; si je vous avais dit que je vous aimais et que je vous respectais, non pas comme ma pauvre enfant, ainsi que je vous en donnais le nom, mais comme une femme dont la main fidèle pouvait m’élever au-dessus de moi-même et me rendre plus heureux et meilleur ; si j’avais saisi l’occasion qui ne se représentera plus… (hélas ! que ne l’ai-je fait !…) et si quelque obstacle était venu nous séparer alors, quand je me trouvais dans une situation à peu près prospère et que vous étiez pauvre, alors j’aurais pu répondre en d’autres termes à votre offre généreuse, tout en rougissant encore de l’accepter ; aujourd’hui, chère petite Dorrit, je ne dois pas y songer… je n’y songerai jamais ! »

Les petites mains jointes d’Amy adressèrent une supplication plus éloquente et plus pathétique que tous les discours du monde.

« Je suis assez déshonoré sans cela, ma petite Dorrit. Je ne dois pas descendre aussi bas et vous entraîner vous… si chère, si généreuse, si bonne… dans ma chute. Que Dieu vous bénisse, que Dieu vous récompense !… N’y pensons plus. »

Il la prit dans ses bras comme si elle eût été sa fille.

« Je suis plus vieux, plus triste, plus indigne de vous qu’à l’époque que nous devons oublier l’un et l’autre, et vous ne devez pas me voir tel que j’étais, mais tel que je suis. Recevez ce baiser d’adieu sur votre joue, mon enfant, vous qui auriez pu devenir autre chose que mon enfant, sans me devenir plus chère… recevez-le de moi, pauvre homme ruiné que le sort éloigne et sépare de vous à jamais, et qui est arrivé au bout de sa carrière lorsque vous ne faites que commencer la vôtre. Je n’ai pas le courage de vous demander de m’oublier dans mon humiliation, mais je vous