Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/324

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lui administrer une dose, il fourra dans son gilet une partie de ses bras croisés, et, le menton très-rapproché d’un de ses coudes, il se tint dans ou coin, surveillant Rigaud dans l’attitude la plus bizarre. Le visiteur, de son côté, quittant le fauteuil dans lequel il s’était installé, alla s’asseoir sur une table, les jambes pendantes. Dans cette pose sans gêne, ses yeux rencontrèrent le visage rigide de Mme  Clennam ; sa moustache se releva et son nez s’abaissa.

« Madame, je suis un gentilhomme…

— Dont j’ai déjà entendu parler, interrompit Mme  Clennam avec sa fermeté habituelle, comme ayant été détenu dans une prison de Marseille sous prévention d’assassinat. »

Rigaud lui envoya un baiser avec sa galanterie exagérée.

« Charmant ! parfait ! et l’assassinat d’une dame, encore ! Était-ce assez absurde ? assez incroyable ? J’ai eu l’honneur d’obtenir un grand succès à cette occasion ; j’en espère un pareil aujourd’hui. Je vous baise les mains, madame, je suis un gentilhomme (ainsi que j’allais avoir l’avantage de vous le dire), qui, lorsqu’il déclare qu’il est décidé à terminer telle ou telle affaire, séance tenante, ne s’en va pas avant de l’avoir terminée d’une façon ou d’une autre. Je vous préviens que cet entretien sera le dernier. Vous me faites l’honneur de suivre mon raisonnement et de me comprendre ? »

La mère d’Arthur, les yeux fixés sur son interlocuteur, répondit en fronçant les sourcils :

« Oui.

— En outre, je suis un gentilhomme qui dédaigne tout ce qui ressemble à un trafic mercenaire, mais qui ne se fait pas scrupule d’accepter de l’argent, parce que sans argent on ne peut pas s’amuser. Vous me faites toujours l’honneur de suivre mon raisonnement et de me comprendre ?

— Il me semble que je pourrais me dispenser de répondre. Oui.

— En outre, je suis le gentilhomme le plus doux et le meilleur enfant qu’il soit possible de rencontrer ici-bas ; mais j’entre en furie dès qu’on se joue de moi. Les nobles natures, en pareille circonstance, deviennent enragées. Il y a beaucoup de noblesse dans ma nature. Lorsque le lion s’irrite… c’est-à-dire quand j’entre en fureur, j’aime autant la vengeance que l’argent. Vous me faites toujours l’honneur de suivre mon raisonnement et de me comprendre ?

— Oui, répondit Mme  Clennam, un peu plus haut qu’auparavant.

— Désolé d’avoir troublé votre égalité d’âme. Restez calme, je vous en prie. J’ai dit que cet entretien serait le dernier. Permettez-moi de vous rappeler ce qui s’est passé dans nos deux autres séances…

— Ce n’est pas nécessaire.

— Morbleu ! madame, s’écria Rigaud, il me plaît de vous les rappeler ! d’ailleurs, c’est nécessaire pour mieux nous entendre. La première séance ne signifie pas grand’chose. Je vous ai présenté la lettre d’introduction qui m’a valu l’avantage de faire votre connaissance. Je suis un chevalier d’industrie… pour vous servir, ma-