Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/339

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n’est que de la blague. Et pour vous dire tout ce que j’ai sur le cœur pendant que j’y suis, continua le sieur Flintwinch, qui se croisa les bras, comme s’il posait pour la statue d’un traître de mélodrame, voilà longtemps… voilà quarante ans… que vous me crucifiez, avec vos grands airs, moi qui vous connais comme ma poche ; comme si je n’étais qu’un zéro en chiffre à côté de vous. Je vous admire, c’est vrai ; vous êtes une femme de tête et de talent ; mais la plus forte tête et le plus grand talent du monde ne peuvent pas vous crucifier un homme toute la journée pendant quarante ans, sans que la peau lui démange. Vous pouvez donc me faire vos grands yeux tant que vous voudrez, je m’en soucie comme de cela. Maintenant, j’arrive au codicille. Écoutez-moi bien. Vous l’avez caché quelque part, dans un endroit que personne que vous ne connaissait ; vous étiez une femme active, dans ce temps-là, et si vous aviez voulu ravoir le papier, vous n’auriez eu qu’à aller le prendre. Mais, voilà qu’un beau jour, vous êtes frappée de paralysie, et si vous avez besoin du papier, vous ne pouvez plus aller le chercher. Il reste donc pendant de longues années dans sa cachette. Enfin, lorsque nous nous attendons chaque jour à voir revenir Arthur, et qu’il est impossible de savoir s’il ne s’amusera pas à fureter dans tous les coins de la maison, je vous recommande mille et mille fois, puisque vous ne pouvez pas aller chercher le papier, de me dire où il est, afin que nous puissions le brûler. Mais non… vous savez seule où le trouver et c’est encore un moyen de me dominer. Vous avez beau chanter votre humilité sur tous les tons, moi je prétends que votre appétit pour la domination fait de vous un Lucifer femelle ! Donc, un dimanche soir, Arthur revient. Il n’y avait pas dix minutes qu’il était dans cette chambre qu’il se met à parler de la montre de son père. Vous devinez fort bien que le N’oubliez pas, au moment où son père vous a renvoyé la montre, voulait dire, puisque le reste de l’histoire était fini depuis longtemps : N’oubliez pas la suppression du codicille… Une restitution, allons donc !… Les façons d’Arthur vous effrayent un peu et vous vous dites, après tout, qu’il faut brûler le papier. De sorte qu’avant que cette péronnelle, cette Jézabel… (le sieur Flintwinch montra les dents à sa femme)… vous ait mise au lit, vous me dites enfin où vous avez caché le papier, parmi les vieux registres entassés dans les caves, où Arthur lui-même est allé fureter le lendemain matin. Mais il ne faut pas songer à le brûler un dimanche… Oh ! non, vous êtes d’une piété trop scrupuleuse pour cela ; attendons jusqu’à minuit, attendons jusqu’au lundi. C’était encore une manière de m’avaler tout cru. Ma foi ! je n’y tiens plus. Dans ma mauvaise humeur, comme je ne suis pas tout à fait d’une piété aussi scrupuleuse que vous, j’examine le document sans attendre que minuit ait sonné, afin de m’en rafraîchir un peu la mémoire. Je plie un autre vieux papier jauni que j’ai trouvé dans la cave, de façon à le faire ressembler au codicille… et plus tard, quand lundi matin est arrivé et que vous m’obligez à la lueur de