Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/341

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de vis, de garder vos grands yeux pour un autre, car je vous préviens qu’ils ne font aucun effet sur moi. »

Mme Clennam détourna lentement les yeux dès que Jérémie eut cessé de parler, et se pressa le front dans la main gauche. L’autre main resta appuyée sur la table, et on put voir encore en elle ce mouvement étrange qu’elle avait déjà fait comme pour se lever, tandis qu’elle disait à Blandois :

« Personne ne vous donnera de cette boîte un prix aussi élevé que moi. Ce secret ne vous rapportera jamais autant si vous le vendez à un autre que si vous me le vendez à moi. Mais je ne puis disposer en ce moment de la somme que vous m’avez demandée. Les affaires de notre maison n’ont pas prospéré. Combien voulez-vous maintenant, combien plus tard, et quelle garantie me donnerez-vous de votre discrétion ?

— Mon ange, répondit Rigaud, je vous ai dit combien je voulais, et le temps presse. Avant de venir ici, j’ai transcrit les plus importants de ces papiers, et j’en ai déposé copie entre les mains d’un tiers. Différez encore jusqu’au moment où la grille de la prison de la Maréchaussée sera fermée pour la nuit, et il sera trop tard pour traiter. Le prisonnier les aura lues. »

Mme Clennam porta de nouveau les deux mains à sa tête, poussa un cri et se dressa sur ses pieds. Elle vacilla un instant comme si elle allait tomber ; puis elle se tint debout devant Rigaud.

« Expliquez-vous ! Expliquez-vous ! misérable ! »

Devant ce fantôme roidi d’une femme qui, depuis tant d’années, n’avait pas pu se redresser, Rigaud recula et baissa la voix. On eût dit que les trois témoins de cette scène assistaient à la résurrection d’une morte.

« Mlle Dorrit, répliqua Rigaud, la petite nièce de M. Frédéric Dorrit, que j’ai connue en Suisse et en Italie, est attachée au prisonnier. Mlle Dorrit veille en ce moment au chevet du prisonnier malade. En venant ici, j’ai, de ma propre main, remis pour elle au guichetier de la prison un paquet accompagné d’une lettre où je lui dis ce qu’elle doit faire dans l’intérêt de son ami Arthur Clennam… (elle fera tout ce qu’on voudra pour lui rendre service)… Elle doit rendre le paquet, sans le décacheter, dans le cas où on viendrait le réclamer ce soir avant la fermeture de la prison. Si personne ne vient le réclamer avant que la cloche ait sonné, elle doit le donner au détenu. Le paquet renferme un double qu’Arthur Clennam doit remettre à Mlle Dorrit. Vous figurez-vous que je me serais aventuré parmi vous sans être sûr que mon secret me survivrait ? Croyez-vous encore que le secret ne me rapportera pas ailleurs ce qu’il doit me rapporter ici ? Hein, madame ? Ce n’est pas vous qui marchanderez et ferez le prix que la petite nièce me donnera… dans l’intérêt d’Arthur Clennam… pour étouffer cette histoire. Je vous répète encore une fois que le temps presse. Dès que la cloche aura sonné, le paquet ne sera plus à vendre. C’est la petite nièce qui l’aura acheté ! »