Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/362

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ma foi ! et pas bégueules du tout. Cet appel à la concorde ne manquait jamais de lui mettre en effet l’une et l’autre sur les bras par un touchant accord. C’était tout ce qu’il y gagnait.

Enfin, il y avait Mme  Général, revenue de son dernier voyage, qui adressait tous les deux jours à la famille Dorrit des lettres ornées de prismes et de pruneaux, pour leur demander un nouveau certificat, qui lui servît de titres de plus à quelque emploi vacant. Car il faut avouer, avant d’en finir avec cette remarquable lady, qu’il n’a jamais existé en même temps une dame qui pût appuyer ses prétentions à un poste de confiance, d’un plus grand nombre de témoignages de satisfaction, exprimés tous dans les termes les plus chaleureux, par les personnes qui avaient eu le bonheur de la voir à l’œuvre, ni une gouvernante moins chanceuse, car, cette foule d’admirateurs ardents et distingués ne lui rapportaient pas un seul patron qui se trouvât avoir besoin de ses services.

Au premier fracas causé par la mort de M. Merdle, beaucoup de personnages importants s’étaient demandé s’il fallait tourner le dos à Mme  Merdle ou la consoler. Cependant, comme il leur sembla, après mûre délibération, qu’il était de leur propre intérêt de faire déclarer par la Société qu’elle avait été cruellement trompée, ils firent cette déclaration avec beaucoup de gracieuseté et continuèrent de la compter au nombre de leurs connaissances. Aussi la Société ne tarda-t-elle pas à savoir que Mme  Merdle, femme du monde et de bonne maison, ayant été sacrifiée à un homme de rien (car dès que l’on découvrit que les poches du banquier étaient vides, on découvrit en même temps qu’il n’avait jamais été autre chose qu’un vil plébéien, depuis la pointe des cheveux jusqu’à la plante des pieds), devait être activement patronnée par la haute classe à laquelle elle appartenait, pour l’honneur même de cette classe. La veuve, de son côté, par reconnaissance pour ces bons procédés, se montra plus irritée que personne contre l’ombre odieuse du défunt, de façon qu’en somme elle sortit victorieuse de cette épreuve, et que sa réputation de femme habile ne fit qu’y gagner.

La place de M. Sparkler était, fort heureusement pour lui, une de ces sinécures qu’un gentleman conserve jusqu’à la fin de ses jours, à moins qu’il n’existe des motifs pour le hisser, au moyen de la grue administrative des Mollusques, vers un poste encore plus lucratif. Ce serviteur patriotique loin d’abandonner son drapeau (écartelé de quatre trimestres sur fond d’argent) le planta bravement comme un vrai Nelson au mât du vaisseau de l’État. Pour prix de son intrépidité, Mme  Sparkler et Mme  Merdle, habitant chacune un étage de la petite maison incommode située au centre du monde habitable, que l’odeur de la soupe et du fumier de la veille n’abandonnait pas plus que l’ombre ne quitte le soleil, se disposèrent à lutter dans la lice du grand monde, comme deux champions en champ clos, à mesure que la petite Dorrit, voyant se développer tous ces symptômes, ne pouvait s’empêcher de se demander avec inquiétude dans quel coin sacrifié de l’habitation distinguée de