Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/364

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que possible, et dans le cas où il découvrirait que le gentleman cosmopolite avait laissé derrière lui, en garantie de la carte à payer, quelque boîte ou quelque paquet, de payer l’addition et de se faire remettre le paquet ou la boîte.

Sans autre compagne que maman Meagles, le père de Chérie commença son pèlerinage bigarré d’un grand nombre d’aventures. La moindre de ses difficultés consistait dans l’impossibilité où il se trouvait de comprendre le premier mot de tout ce qu’on lui disait, ou de se faire comprendre des gens qu’il interrogeait. Néanmoins, aussi convaincu que jamais que la langue anglaise était la langue universelle, et que c’était la faute de ces imbéciles-là s’ils ne la savaient pas, M. Meagles haranguait les aubergistes avec une volubilité incroyable, leur donnant des explications bruyantes et compliquées, et repoussant toute réponse indigène sous prétexte que ce n’était : « qu’un tas de bêtises. » Parfois on eut recours à des interprètes ; mais M. Meagles, lorsqu’il leur adressait la parole, émaillait son discours de tant d’idiotismes nationaux, que l’interprète n’ouvrait plus la bouche, et l’on se trouvait moins avancé que jamais. En fin de compte, cependant, l’ancien banquier n’y perdait peut-être pas grand’chose, car, s’il ne découvrit rien qui eût appartenu à feu Rigaud, il découvrait, en revanche, tant de dettes et tant d’odieux souvenirs attachés au nom de ce gentilhomme (le seul mot qu’il prononçât d’une façon intelligible) qu’on l’accablait partout lui-même de qualifications injurieuses. À quatre reprises différentes, M. Meagles fut dénoncé à la police comme un chevalier d’industrie, un sacripant et un voleur ; mais il accepta toutes ses épithètes de la meilleure grâce du monde (n’ayant pas la moindre idée de ce qu’elles voulaient dire), et se vit escorté de la façon la plus ignominieuse au bureau des paquebots ou des messageries, pour échapper à ces criailleries, causant tout le long de la route avec les gendarmes, comme un joyeux et brave John Bull qu’il était, avec maman Meagles sous son bras.

Mais au fond, l’ex-banquier était un homme clairvoyant, fin et persévérant. Quoique dans son pèlerinage il eût déjà suivi la piste de Blandois jusqu’à Paris sans avoir rien découvert, il ne se laissa pas décourager pour cela.

« Plus je le serre de près du côté de l’Angleterre, voyez-vous, dit-il à maman Meagles, plus j’ai de chances de me rapprocher des papiers, que je doive les retrouver ou non. Car il tombe sous le sens qu’il a dû les déposer quelque part, à l’abri de ceux auxquels il voulait les vendre, et qui sont en Angleterre, sans cependant cesser de les garder, pour ainsi dire, sous sa main. »

À Paris, M. Meagles trouva une lettre de la petite Dorrit qui l’attendait à son hôtel. La jeune fille lui annonçait qu’elle avait pu causer pendant quelques minutes avec M. Clennam, à propos de cet homme qui n’était plus ; et que, lorsqu’elle lui avait dit que son ami, M. Meagles, désirait obtenir quelques renseignements sur le compte de ce Rigaud, il l’avait priée d’écrire à l’ex-banquier que