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GRILLON DU FOYER.

— Lui cruel pour moi ! s’écria Berthe avec un sourire d’incrédulité.

— Sans le vouloir, mon enfant, dit Caleb ; mais je l’ai été, sans toutefois m’en douter, jusqu’à hier soir. Ma chère fille aveugle, écoutez-moi et pardonnez-moi. Le monde dans lequel vous vivez, mon cœur, n’existe pas comme je vous l’ai dépeint. Les yeux auxquels vous vous êtes fiée vous ont trompée.

Elle tourna encore vers lui son visage frappé d’étonnement, mais elle se recula en se rapprochant de son amie.

— Votre chemin dans la vie était rude, ma pauvre enfant, dit Caleb, et j’ai voulu vous l’adoucir. J’ai altéré les objets, changé le caractère des gens, inventé bien des choses qui n’ont jamais existé, afin de vous rendre plus heureuse. Je vous ai fait des cachotteries, je vous ai forgé des tromperies. Dieu me pardonne ! et je vous ai entourée de choses imaginaires.

— Mais les personnes vivantes ne sont pas imaginaires ? dit-elle avec force, mais en pâlissant beaucoup et en s’éloignant de lui. Vous ne pouvez pas les changer.

— Je l’ai fait, Berthe, dit Caleb. Il y a une personne que vous connaissez, ma colombe…

— Oh ! mon père, pourquoi dites-vous que je la connais ? répondit-elle d’un ton d’amer reproche. Qui puis-je connaître, moi qui n’ai personne pour me guider, moi misérable aveugle ?