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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/142

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jambe gauche sur sa jambe droite ; ce sont les règles reçues ! »

Il retomba alors sur sa jambe gauche.

« Viens sur le terrain, et commençons les préliminaires ! »

Il sautait à droite, à gauche, en avant, en arrière, et se livrait à toutes sortes de gambades, pendant que je le regardais dans le plus grand étonnement.

J’étais secrètement effrayé, en le voyant si adroit et si alerte ; mais je sentais, moralement et physiquement, qu’il n’avait aucun droit à enfoncer sa tête dans mon estomac, aussi irrévérencieusement qu’il venait de le faire. Je le suivis donc, sans mot dire, dans un enfoncement retiré du jardin, formé par la jonction de deux murs, et protégé par quelques broussailles. Après m’avoir demandé si le terrain me convenait, et avoir obtenu un : Oui ! fort crânement articulé par moi, il me demanda la permission de s’absenter un moment, et revint promptement avec une bouteille d’eau et une éponge imbibée de vinaigre.

« C’est pour nous deux, » dit-il en plaçant ces objets contre le mur.

Alors, il retira non-seulement sa veste et son gilet, mais aussi sa chemise, d’une façon qui prouvait tout à la fois sa légèreté de conscience, son empressement et une certaine soif sanguinaire.

Bien qu’il ne parût pas fort bien portant, et qu’il eût le visage couvert de boutons et une échancrure à la bouche, ces effrayants préparatifs ne laissèrent pas que de m’épouvanter. Je jugeai qu’il devait avoir à peu près mon âge, mais il était bien plus grand et il avait une manière de se redresser qui m’en imposait beaucoup. Du reste, c’était un jeune homme ; il était habillé tout en gris, quand il n’était pas déshabillé pour