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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/151

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« Allons ! En voilà assez !… Va te coucher, tu nous as donné assez de peine pour une soirée, j’espère ! »

Comme si c’eût été moi qui les eusse priés en grâce de tourmenter ma pauvre existence.

Cet état de chose dura longtemps, et il eût pu durer plus longtemps encore, mais un jour que miss Havisham se promenait, comme à l’ordinaire, en s’appuyant sur mon épaule, elle s’arrêta subitement et, se penchant sur moi, elle me dit, avec un peu d’humeur :

« Tu deviens grand garçon, Pip ! »

Je pensai que je devais lui faire entendre, par un regard méditatif, que c’était sans doute le résultat de circonstances sur lesquelles je n’avais aucun pouvoir.

Elle n’en dit pas davantage pour cette fois, mais elle s’arrêta bientôt pour me considérer encore, et un moment après elle recommença de nouveau en fronçant les sourcils et en faisant la mine. Le jour suivant, quand notre exercice quotidien fut fini, et que je l’eus reconduite à sa table de toilette, elle appela mon attention au moyen du mouvement impatient de ses doigts.

« Redis-moi donc le nom de ton forgeron ?

— Joe Gargery, madame.

— C’est chez lui que tu devais entrer en apprentissage ?

— Oui, miss Havisham.

— Tu aurais mieux fait d’y entrer tout de suite. Crois-tu que Gargery consente à venir ici avec toi, et à apporter ton acte de naissance ? »

Je répondis que Joe ne manquerait pas de se trouver très-honoré de venir.

« Alors, qu’il vienne.

— À quelle heure voulez-vous qu’il vienne, miss Havisham ?