Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/164

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CHAPITRE XIV.


C’est une chose bien misérable que d’avoir honte de sa famille, et sans doute cette noire ingratitude est-elle punie comme elle le mérite ; mais ce que je puis certifier, c’est que rien n’est plus misérable.

La maison n’avait jamais eu de grands charmes pour moi, à cause du caractère de ma sœur, mais Joe l’avait sanctifiée à mes yeux, et j’avais cru qu’on pouvait y être heureux. J’avais considéré notre parloir comme un des plus élégants salons ; j’avais vu dans la porte d’entrée le portail d’un temple, dont on attendait l’ouverture solennelle pour faire un sacrifice de volailles rôties ; la cuisine m’avait semblé un lieu fort convenable, si ce n’est magnifique, et j’avais regardé la forge comme le seul chemin brillant qui devait me conduire à la virilité et à l’indépendance. En moins d’une année, tout cela avait changé. Tout me paraissait maintenant commun et vulgaire, et pour un empire je n’aurais pas voulu que miss Havisham et Estelle vissent rien qui en dépendît.

Était-ce la faute du malheureux état de mon esprit ? Était-ce la faute de miss Havisham ? Était-ce la faute de ma sœur ? À quoi bon chercher à m’en rendre compte ? Le changement s’était opéré en moi, c’en était