Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/188

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une garde convenable, lorsqu’une circonstance fortuite nous vint en aide. La grand’tante de M. Wopsle mourut, et celui-ci, voyant l’état dans lequel ma sœur était tombée, laissa Biddy venir la soigner.

Ce fut environ un mois après la réapparition de ma sœur dans la cuisine, que Biddy arriva chez nous avec une petite boîte contenant tous les effets qu’elle possédait au monde. Ce fut une bénédiction pour nous tous et surtout pour Joe, car le cher homme était bien abattu, en contemplant continuellement la lente destruction de sa femme, et il avait coutume, le soir, en veillant à ses côtés, de tourner sur moi de temps à autre ses yeux bleus humides de larmes, en me disant :

« C’était un si beau corps de femme ! mon petit Pip. »

Biddy entra de suite en fonctions et prodigua à ma sœur les soins les plus intelligents, comme si elle n’eût fait que cela depuis son enfance. Joe put alors jouir en quelque sorte de la plus grande tranquillité qu’il eût jamais goûtée durant tout le cours de sa vie, et il eut le loisir de pousser de temps en temps jusqu’aux Trois jolis Bateliers, ce qui lui fit un bien extrême. Une chose étonnante, c’est que les gens de la police avaient tous plus ou moins soupçonné le pauvre Joe d’être le coupable sans qu’il s’en doutât, et que, d’un commun accord, ils le regardaient comme un des esprits les plus profonds qu’ils eussent jamais rencontrés.

Le premier triomphe de Biddy, dans sa nouvelle charge, fut de résoudre une difficulté que je n’avais jamais pu surmonter, malgré tous mes efforts. Voici ce que c’était :

Toujours et sans cesse ma sœur avait tracé sur l’ardoise un chiffre qui ressemblait à un T ; puis elle avait appelé notre attention sur ce chiffre, comme une chose