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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/270

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Herbert Pocket avait des manières franches et faciles qui étaient très-séduisantes. Je n’avais jamais vu personne alors, et je n’ai jamais vu personne depuis qui exprimât plus fortement, tant par la voix que par le regard, une incapacité naturelle de faire quoi que ce soit de vil ou de dissimulé. Il y avait quelque chose de merveilleusement confiant dans tout son air, et, en même temps, quelque chose me disait tout bas qu’il ne réussirait jamais et qu’il ne serait jamais riche. Je ne sais pas comment cela se faisait. J’eus cette conviction absolue dès le premier jour de notre rencontre et avant de nous mettre à table ; mais je ne saurais définir par quels moyens.

C’était toujours un jeune homme pâle ; il avait dans toute sa personne une certaine langueur acquise, qu’on découvrait même au milieu de sa belle humeur et de sa gaieté, et qui ne semblait pas indiquer une nature vigoureuse. Son visage n’était pas beau, mais il était mieux que beau, car il était extrêmement gai et affable. Son corps était un peu gauche, comme dans le temps où mes poings avaient pris avec lui les libertés qu’on connaît ; mais il semblait de ceux qui doivent toujours paraître légers et jeunes. Les confections locales de M. Trabb l’auraient-elles habillé plus gracieusement que moi ? C’est une question. Mais ce dont je suis certain, c’est qu’il portait ses habits, quelque peu vieux, beaucoup mieux que je ne portais les miens, qui étaient tout neufs.

Comme il se montrait très-expansif, je sentis que pour des gens de nos âges la réserve de ma part serait peu convenable en retour. Je lui racontai donc ma petite histoire, en répétant à plusieurs reprises, et avec force, qu’il m’était interdit de rechercher quel était mon bienfaiteur. Je lui dis un peu plus tard, qu’ayant