Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/283

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grands marchands, bien que je ne puisse comprendre pourquoi aucun d’eux ne paraissait avoir sa raison. Quand Herbert vint me rejoindre, nous allâmes déjeuner dans un établissement célèbre, que je vénérai alors beaucoup, mais que je crois aujourd’hui avoir été la superstition la plus abjecte de l’Europe, et où je ne pus m’empêcher de remarquer qu’il y avait beaucoup plus de sauce sur les nappes, sur les couteaux et sur les habits des garçons que dans les plats. Cette collation faite à un prix modéré, eu égard à la graisse qu’on ne nous fit pas payer, nous retournâmes à l’Hôtel Barnard, pour chercher mon petit portemanteau, et nous prîmes ensuite une voiture pour Hammersmith, où nous arrivâmes vers trois heures de l’après-midi. Nous n’avions que peu de chemin à faire pour gagner la maison de M. Pocket. Soulevant le loquet d’une porte, nous entrâmes immédiatement dans un petit jardin donnant sur la rivière, où les enfants de M. Pocket prenaient leurs ébats, et, à moins que je ne me sois abusé sur un point où mes préjugés ou mes intérêts n’étaient pas en jeu, je remarquai que les enfants de M. et Mrs Pocket ne s’élevaient pas, ou n’étaient pas élevés, mais qu’ils se roulaient.

Mrs Pocket était assise sur une chaise de jardin, sous un arbre ; elle lisait, les jambes croisées sur une autre chaise de jardin ; et les deux servantes de Mrs Pocket se regardaient pendant que les enfants jouaient.

« Maman, dit Herbert, c’est le jeune M. Pip. »

Sur ce, Mrs Pocket me reçut avec une apparence d’aimable dignité.

« Master Alick et miss Jane ! cria une des bonnes à deux enfants, si vous courez comme cela contre ces buissons, vous tomberez dans la rivière, et vous vous noierez, et alors que dira votre papa ? »