Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/341

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et, interrogé par votre amie, Pip, j’ai dit : « Je le suis. » — Voudrez-vous lui dire alors, dit-elle, qu’Estelle est ici, et qu’elle serait bien aise de le voir ? »

Je sentais mon visage en feu, en levant les yeux sur Joe. J’espère qu’une des causes lointaines de cette douleur devait venir de ce que je sentais que si j’avais connu le but de sa visite, je lui aurais donné plus d’encouragement.

« Biddy, continua Joe, quand j’arrivai à la maison et la priai de vous écrire un petit mot, Biddy hésita un moment : « Je sais, dit-elle, qu’il sera plus content d’entendre ce mot de votre bouche ; c’est jour de fête, si vous avez besoin de le voir, allez-y. » J’ai fini, monsieur, dit Joe en se levant, et, Pip, je souhaite que vous prospériez et réussissiez de plus en plus.

— Mais vous ne vous en allez pas tout de suite, Joe ?

— Si fait, je m’en vais, dit Joe.

— Mais vous reviendrez pour dîner, Joe ?

— Non, je ne reviendrai pas, » dit Joe.

Nos yeux se rencontrèrent, et tous les « monsieur » furent bannis du cœur de cet excellent homme, quand il me tendit la main.

« Pip ! mon cher Pip, mon vieux camarade, la vie est composée d’une suite de séparations de gens qui ont été liés ensemble, s’il m’est permis de le dire : l’un est forgeron, un autre orfèvre, celui-ci bijoutier, celui-là chaudronnier ; les uns réussissent, les autres ne réussissent pas. La séparation entre ces gens-là doit venir un jour ou l’autre, et il faut bien l’accepter quand elle vient. Si quelqu’un a commis aujourd’hui une faute, c’est moi. Vous et moi ne sommes pas deux personnages à paraître ensemble dans Londres, ni même ailleurs, si ce n’est quand nous sommes dans l’intimité et entre gens de connaissance. Je veux dire entre amis.