Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/345

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dessus de la voiture, je ne fus pas très-surpris quand Herbert, en m’apercevant dans la cour, vint me dire que deux forçats allaient faire route avec moi ; mais j’avais une raison, qui commençait à être une vieille raison, pour trembler malgré moi des pieds à la tête quand j’entendais prononcer le mot forçat.

« Cela ne vous inquiète pas, Haendel ? dit Herbert.

— Oh ! non !

— Je croyais que vous paraissiez ne pas les aimer.

— Je ne prétends pas que je les aime, et je suppose que vous ne les aimez pas particulièrement non plus ; mais ils me sont indifférents.

— Tenez ! les voilà, dit Herbert, ils sortent du cabaret ; quel misérable et honteux spectacle ! »

Les deux forçats venaient de régaler leur gardien, je suppose, car ils avaient avec eux un geôlier, et tous les trois s’essuyaient encore la bouche avec leurs mains. Les deux malheureux étaient attachés ensemble et avaient des fers aux jambes, des fers dont j’avais déjà vu un échantillon, et ils portaient un habillement que je ne connaissais que trop bien aussi. Leur gardien avait une paire de pistolets et portait sous son bras un gros bâton noueux, mais il paraissait dans de bons termes avec eux et se tenait à leur côté, occupé à voir mettre les chevaux à la voiture. Ils avaient vraiment l’air de faire partie de quelque exhibition intéressante, non encore ouverte, et lui, d’être leur directeur. L’un était plus grand et plus fort que l’autre, et on eût dit que, selon les règles mystérieuses du monde des forçats, comme des gens libres, on lui avait alloué l’habillement le plus court. Ses bras et ses jambes étaient comme de grosses pelotes de cette forme et son accoutrement le déguisait d’une façon complète. Cependant, je reconnus du premier coup son clignotement d’œil. J’avais devant moi