Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/59

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nous regarder timidement, et les bestiaux, détournant leurs têtes du vent et du grésil, s’arrêtaient pour nous regarder en colère, comme s’ils nous eussent rendus responsables de tous leurs désagréments ; mais à part ces choses et le frémissement de chaque brin d’herbe qui se fermait à la fin du jour, on n’entendait aucun bruit dans la silencieuse solitude des marais.

Les soldats s’avançaient dans la direction de la vieille Batterie, et nous les suivions un peu en arrière, quand soudain tout le monde s’arrêta, car, sur leurs ailes, le vent et la pluie venaient de nous apporter un grand cri. Ce cri se répéta ; il semblait venir de l’est, à une assez grande distance ; mais il était si prolongé et si fort qu’on aurait pu croire que c’étaient plusieurs cris partis en même temps, s’il eût été possible à quelqu’un de juger quelque chose dans une si grande confusion de sons.

Le sergent en causait avec ceux des hommes qui étaient le plus rapproché de lui, quand Joe et moi les rejoignîmes. Après s’être concertés un moment, Joe (qui était bon juge) donna son avis. M. Wopsle (qui était un mauvais juge) donna aussi le sien. Enfin, le sergent, qui avait la décision, ordonna qu’on ne répondrait pas au cri, mais qu’on changerait de route, et qu’on se rendrait en toute hâte du côté d’où il paraissait venir. En conséquence, nous prîmes à droite, et Joe détala avec une telle rapidité, que je fus obligé de me cramponner à lui pour ne pas perdre l’équilibre.

C’était une véritable chasse maintenant, ce que Joe appela aller comme le vent, dans les quatre seuls mots qu’il prononça dans tout ce temps. Montant et descendant les talus, franchissant les barrières, pataugeant dans les fossés, nous nous élancions à travers tous les