Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/61

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— Je n’en attends pas de bien non plus, dit mon forçat avec un rire singulier. C’est moi qui l’ai pris ; il le sait, et cela me suffit. »

L’autre forçat était effrayant à voir : il avait la figure toute déchirée ; il ne put ni remuer, ni parler, ni respirer, jusqu’à ce qu’on lui eût mis les menottes ; et il s’appuya sur un soldat pour ne pas tomber.

« Vous le voyez, soldats, il a voulu m’assassiner ! furent ses premiers mots.

— Voulu l’assassiner ?… dit mon forçat avec dédain, allons donc ! est-ce que je sais ce que c’est que vouloir et ne pas faire ?… Je l’ai arrêté et livré aux soldats, voilà ce que j’ai fait ! Non seulement je l’ai empêché de quitter les marais, mais je l’ai amené jusqu’ici, en le tirant par les pieds. C’est un gentleman, s’il vous plaît, que ce coquin. C’est moi qui rends au bagne ce gentleman… l’assassiner !… Pourquoi ?… quand je savais faire pire en le ramenant au bagne ! »

L’autre râlait et s’efforçait de dire :

« Il a voulu me tuer… me tuer… vous en êtes témoins.

— Écoutez ! dit mon forçat au sergent, je me suis échappé des pontons ; j’aurais bien pu aussi m’échapper de vos pattes : voyez mes jambes, vous n’y trouverez pas beaucoup de fer. Je serais libre, si je n’avais appris qu’il était ici ; mais le laisser profiter de mes moyens d’évasion, non pas !… non pas !… Si j’étais mort là-dedans, et il indiquait du geste le fossé où nous l’avions trouvé, je ne l’aurais pas lâché, et vous pouvez être certain que vous l’auriez trouvé dans mes griffes. »

L’autre fugitif, qui éprouvait évidemment une horreur extrême à la vue de son compagnon, répétait sans cesse :