Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/119

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Laissez-moi vous les rendre ; vous pourrez les donner à quelque autre enfant. »

Je tirai ma bourse de ma poche.

Il suivit mes mouvements, pendant que je mettais ma bourse sur la table et que je tirais les deux billets d’une livre qu’elle contenait. Ils étaient neufs et propres. Je les dépliai et les lui tendis. Tout en continuant à me regarder, il les plaça l’un sur l’autre, les plia pendant longtemps, les tordit, les alluma à la lampe, et en laissa tomber les cendres sur le plateau.

« Puis-je m’enhardir, dit-il alors, avec un sourire qui ressemblait à une grimace, et une grimace qui ressemblait à un sourire, à vous demander comment vous avez réussi depuis que nous nous sommes rencontrés dans les marais glacés de là-bas.

— Comment ?…

— Ah ! »

Il vida son verre, se leva, et se tint debout auprès du feu, avec sa lourde main brunie, posée sur le manteau de la cheminée. Il mit un pied sur les barres de la grille, pour le chauffer et le sécher, et le soulier humide commença à fumer ; mais il n’y fit pas plus d’attention qu’au feu, et ne cessa pas de me regarder fixement. C’est alors seulement que je commençais à trembler.

Quand mes lèvres s’ouvrirent pour former quelques mots, le son ne put sortir, et je fis un effort pour lui dire, bien que je ne pusse le faire distinctement, que j’avais été choisi pour hériter de quelque bien.

« Une simple vermine comme moi peut-elle demander quel genre de bien ? dit-il.

— Je ne sais pas, balbutiai-je.

— Une simple vermine peut-elle demander à qui est ce bien ? dit-il.