Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/160

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« Il fallait bien mettre quelque chose dans mon estomac, n’est-ce pas ?

« Mais voilà que je deviens petit, et je sais ce qui vous est dû, mon cher enfant, et à vous aussi, cher ami de Pip, n’ayez aucune crainte que je sois petit.

« Tout en errant, mendiant, volant, travaillant quelquefois, quand je le pouvais, pas aussi souvent que vous pourriez le croire, à moins que vous ne vous demandiez à vous-mêmes si vous auriez été bien disposés à me donner de l’ouvrage. Un peu braconnier, un peu laboureur, un peu roulier, un peu moissonneur, un peu colporteur et un peu de toutes ces choses qui ne rapportent rien et vous mettent dans la peine, je devins homme.

« Un soldat déserteur, qui se tenait caché jusqu’au menton sous un tas de pommes de terre, m’apprit à lire, et un géant ambulant qui, chaque fois qu’il signait son nom, gagnait un sou, m’apprit à écrire.

« Je n’étais plus enfermé aussi souvent qu’autrefois, mais j’usais encore ma bonne part de clefs et de verrous.

« Aux courses d’Epson, il y a quelque chose comme vingt ans, je fis la connaissance d’un homme, auquel j’aurais fendu le crâne avec ce coutelas, aussi facilement qu’une patte de homard, si je n’avais craint d’en faire sortir le diable.

« Compeyson était son vrai nom, et c’est l’homme, mon cher enfant, que vous m’avez vu assommer dans le fossé, ainsi que vous l’avez raconté à votre camarade hier soir quand j’ai été parti.

« Il se posait en gentleman, ce Compeyson : il avait été au collège et avait de l’instruction. C’était un homme au doux langage, et qui était initié aux manières des gens comme il faut. Il avait bonne tournure et bon air.

« La veille de la grande course, je le trouvai sur la