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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/227

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faction de madame et de monsieur. Voyons donc, Molly, Molly, Molly, comme vous êtes lente aujourd’hui ! »

Molly était à côté de lui quand il lui adressa la parole, et elle mettait un plat sur la table. Quand elle retira ses mains, elle recula d’un pas ou deux, murmura d’un ton agité quelques mots d’excuse, et un certain mouvement de ses doigts, pendant qu’elle parlait, attira mon attention.

« Qu’y a-t-il ? demanda M. Jaggers.

— Rien, seulement le sujet de votre conversation m’était quelque peu pénible. »

Les doigts de Molly s’agitaient comme lorsque l’on tricote ; elle regardait son maître, ne sachant pas si elle pouvait se retirer, ou s’il avait quelque chose de plus à lui dire, et s’il n’allait pas la rappeler si elle partait. Son regard était très-perçant ; bien certainement j’avais vu de tels yeux et de telles mains tout récemment, en une occasion mémorable !

Il la renvoya, et elle sortit vivement de la chambre ; mais elle resta devant moi aussi distinctement que si elle eût été encore là. Je regardais ces yeux, je regardais ces mains, je regardais ces cheveux flottants, et je les comparais à d’autres yeux, à d’autres mains, à d’autres cheveux que je connaissais, et je pensais à ce que tout cela pourrait être après vingt années d’une vie orageuse avec un mari brutal. Je regardai encore les yeux et les mains de la gouvernante, et je pensai à l’inexplicable sentiment qui s’était emparé de moi la dernière fois que je m’étais promené avec quelqu’un dans le jardin abandonné et à travers la brasserie en ruines, je pensais comment le même sentiment m’était revenu quand j’avais vu un visage me regarder et une main me faire des signes par la