Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/353

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« William, dit M. Pumblechook au garçon, mettez un muffin sur la table. En sommes-nous vraiment là ?… en sommes-nous vraiment arrivés là ?… »

Je m’assis de mauvaise humeur devant mon déjeuner. M. Pumblechook se tint devant moi, et, avant que je n’eusse eu le temps de toucher la théière, il me versa du thé de l’air d’un bienfaiteur qui avait résolu de me rester fidèle jusqu’au dernier jour.

« William, dit M. Pumblechook avec tristesse, servez le sel ; dans des temps plus heureux, dit-il, en s’adressant à moi, je crois que vous preniez du sucre ? Preniez-vous du lait ? Oui, n’est-ce pas ? Du sucre et du lait ? William, apportez du cresson.

— Merci ! dis-je brièvement, mais je ne mange pas de cresson.

— Vous ne mangez pas de cresson ! répondit M. Pumblechook en soupirant et en agitant sa tête à plusieurs reprises, comme s’il s’y fut attendu, et comme si cette abstinence de cresson avait le moindre rapport avec ma chute. Vraiment ! les plus simples produits de la terre, vous n’en mangez pas, décidément ?… N’en apportez pas, William !… »

Je continuai mon déjeuner, et M. Pumblechook continua à rester près de moi avec son regard de poisson et sa respiration bruyante comme toujours.

« Il ne lui reste plus que la peau et les os ! pensa Pumblechook à haute voix ; et cependant, quand il partait d’ici (avec ma bénédiction, je puis le dire), quand j’étalais devant lui mon humble repas, comme l’abeille, il était frais comme une pêche. »

Cela me fit penser à la différence surprenante qu’il y avait entre la manière servile avec laquelle il m’avait offert sa main dans ma nouvelle prospérité, en disant : « Permettez… permettez… » et la clémence fastueuse