Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/38

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— Ya ! cria Wemmick en regardant le porte-clefs d’une façon burlesque, vous êtes aussi muet qu’une de vos clefs quand vous avez affaire à mon patron, vous le savez bien. Faites-nous sortir, vieux renard, ou je vous fais intenter par lui une action pour emprisonnement illégal. »

Le porte-clefs se mit à rire et nous souhaita le bonsoir ; puis il continua de rire après nous, par-dessus les piques du guichet quand nous descendîmes dans la rue.

« Faites attention, monsieur Pip, me dit gravement Wemmick à l’oreille en prenant mon bras pour se montrer plus confidentiel ; je crois que ce qu’il y a de plus fort chez M. Jaggers c’est la manière dont il se tient. Il est toujours si fier que sa roideur constante fait partie de ses immenses capacités. Ce faux-monnayeur n’eût pas plus osé se passer de lui que ce porte-clefs n’eût osé lui demander ses intentions dans une de ses causes. Alors, entre sa roideur et eux il introduit ses subordonnés, voyez-vous ; et, de cette manière, il les tient corps et âme. »

J’admirai fort la subtilité de mon tuteur. Mais, à vrai dire, j’eusse désiré de tout mon cœur, et ce n’est pas la première fois, avoir un tuteur d’une capacité moindre.

M. Wemmick et moi nous nous séparâmes à l’étude de la Petite Bretagne, où les clients de M. Jaggers abondaient comme de coutume, et je retournai me mettre en faction dans la rue du bureau des voitures, ayant encore deux ou trois heures devant moi. Je passai tout ce temps à penser combien il était étrange pour moi de me voir poursuivi et entouré de toute cette infection de prison et de crimes : pendant mon enfance, dans nos marais isolés, par un soir d’hiver, je l’avais rencontrée d’abord ; elle avait ensuite déjà reparu à deux reprises