Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/42

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quez que je n’y étais pas du tout heureux, à ce moment-là, et que je le savais bien.

« Où allez-vous, à Richmond ? demandai-je à Estelle.

— Je vais demeurer, dit-elle, à grand frais, chez une dame du pays qui a le pouvoir, ou du moins elle le dit, de me mener partout, de me présenter, de me montrer le monde, et de me montrer au monde.

— Je suppose que vous serez enchantée du changement et de l’admiration qui vous sera témoignée.

— Oui, je le suppose aussi. »

Elle répondit avec tant d’insouciance, que je lui dis :

« Vous parlez de vous-même comme si vous étiez une autre.

— Où avez-vous appris comment je parle des autres ? Allons ! allons ! dit Estelle, avec un charmant sourire, vous ne vous attendez pas à me voir aller à votre école ; je parle à ma manière. Comment vous trouvez-vous chez M. Pocket ?

— J’y suis tout à fait bien. Du moins… »

Il me sembla alors que je venais de baisser dans son esprit.

« Du moins ? répéta Estelle.

— Aussi bien que je puis être partout où vous n’êtes pas.

— Quel niais vous faites ! dit Estelle avec beaucoup de calme ; comment pouvez-vous dire de pareilles absurdités ? M. Pocket est, je crois, bien supérieur au reste de la famille ?

— Très-supérieur, en vérité. Il n’est l’ennemi de personne.

— N’ajoutez pas : que de lui-même, interrompit Estelle, car je hais ces sortes de gens ; mais il est réellement désintéressé et au-dessus des petitesses de la jalousie et du dépit, du moins à ce que j’ai entendu dire ?