Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/77

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vous rappeler le soir où nous nous sommes rencontrés dans votre village. Que vous ai-je dit alors, Pip ?

— Vous m’avez dit, monsieur Jaggers, qu’il pourrait se passer des années avant que cette personne se fît connaître.

— C’est cela même, dit M. Jaggers ; eh bien, voilà ma réponse… »

Comme nous nous regardions tous les deux, je sentis mon cœur battre plus fort par le désir ardent de tirer quelque chose de lui, et en sentant qu’il battait plus fort et que mon tuteur s’en apercevait, je sentais aussi que j’avais moins de chance de tirer quelque chose de lui.

« Pensez-vous que cela dure encore des années, monsieur Jaggers ? »

M. Jaggers secoua la tête, non pour répondre négativement à ma question, mais pour indiquer qu’il ne pouvait répondre n’importe comment, et les deux horribles bustes, aux visages grimaçants, semblaient, lorsque mes yeux se portaient sur eux, être sous le coup d’un pénible effort, en voyant leur attention suspendue comme s’ils allaient éternuer.

« Allons, dit M. Jaggers en réchauffant le gras de ses jambes avec le dos de ses mains, je vais être précis avec vous, mon ami Pip. C’est une question qu’il ne faut pas faire ; vous le comprendrez mieux quand je vous dirai que cela pourrait me compromettre. Allons, je vais aller un peu plus avant avec vous, je vous dirai même quelque chose de plus. »

Il se pencha tellement, pour froncer les sourcils, du côté de ses bottes, qu’il pouvait se frotter le gras des jambes dans la pose qu’il avait prise.

« Quand cette personne se fera connaître, dit M. Jaggers en se redressant, vous et elle règlerez vos affaires