Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/101

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bondissait plaisamment avec une nouvelle force, pendant que les yeux du joueur maladroit se remplissaient de larmes et que son corps se tordait par la violence de ses angoisses. Enfin, quand on fit le compte de Dumkins et de Podder, Muggleton avait marqué cinquante-quatre points, tandis que la marque des Dingley-Dellois était aussi blanche que leurs visages. L’avantage était trop grand pour être reconquis. Vainement l’impétueux Luffey, vainement l’enthousiaste Struggles firent-ils tout ce que l’expérience et le savoir pouvaient leur suggérer pour regagner le terrain perdu par Dingley-Dell, tout fut inutile, et bientôt Dingley-Dell fut obligé de reconnaître Muggleton pour son vainqueur.

Cependant l’étranger à l’habit vert n’avait fait que boire, manger et parler à la fois et sans interruption. À chaque coup bien joué, il exprimait son approbation d’une manière pleine de condescendance et qui ne pouvait manquer d’être singulièrement flatteuse pour les joueurs qui la méritaient. Mais aussi, chaque fois qu’un joueur ne pouvait saisir la balle ou l’arrêter, il fulminait contre le maladroit. Ah ! stupide ! — Allons, maladroit ! — Imbécile ! — Cruche ! etc. Exclamations au moyen desquelles il se posait aux yeux des assistants, comme un juge excellent, infaillible dans tous les mystères du noble jeu de la crosse.

« Fameuse partie ! bien jouée ! Certains coups admirables ! dit l’étranger à la fin du jeu, au moment où les deux partis se pressaient dans la tente.

— Vous y jouez, monsieur ? demanda M. Wardle qui avait été amusé par sa loquacité.

— Joué ? parbleu ! Mille fois. Pas ici ; aux Indes occidentales. Jeu entraînant ! chaude besogne, très-chaude !

— Ce jeu doit être bien échauffant dans un pareil climat ! fit observer M. Pickwick.

— Échauffant ? Dites brûlant ! grillant ! dévorant ! Un jour, je jouais un seul guichet contre mon ami le colonel sir Thomas Blazo, à qui ferait le plus de points. Jouant à pile ou face qui commencera, je gagne : sept heures du matin : six indigènes pour ramasser les balles. Je commence. Je renvoie toutes les balles du colonel. Chaleur intense ! Les indigènes se trouvent mal. On les emporte. Une autre demi-douzaine les remplace ; ils se trouvent mal de même. Blazo joue, soutenu par deux indigènes. Moi, infatigable, je lui renvoie toujours ses balles. Blazo se trouve mal aussi. Enfoncé le colonel ! Moi,