Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/17

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tite croisée ; la tête de quelqu’un tombée là[1]… Eh ! Il n’avait pas pris garde non plus ! Eh ! monsieur, eh !

— Je ruminais, dit M. Pickwick, sur l’étrange mutabilité des choses de ce monde.

— Ah ! je devine : on entre par la porte du palais un jour ; on en sort par la fenêtre le lendemain. Philosophe, monsieur ?

— Observateur de la nature humaine, monsieur.

— Moi aussi, comme la plupart des hommes, quand ils n’ont pas grand’chose à faire, et encore moins à gagner. Poëte, monsieur ?

— Mon ami, M. Snodgrass, a une disposition poétique très-prononcée, répondit M. Pickwick.

— Moi aussi, reprit l’étranger, poëme épique ; dix mille vers ; révolution de juillet ; composé sur place ; Mars le jour, Apollon la nuit ; déchargeant le fusil, pinçant la lyre.

— Vous étiez présent à cette glorieuse scène ? demanda M. Snodgrass.

— Présent ! un peu[2], j’ajustais un Suisse ; j’ajustais un vers ; j’entre chez un marchand de vin et je l’écris ; je retourne dans la rue, pouf ! pan ! une autre idée ; je rentre dans la boutique, plume et encre ; dans la rue, d’estoc et de taille. Noble temps, monsieur ! Chasseur, monsieur ? se tournant brusquement vers M. Winkle.

— Un peu, répliqua celui-ci.

— Belle occupation ! belle occupation ! des chiens ?

— Pas dans ce moment.

— Ah ! vous devriez en avoir. Noble animal, créature intelligente ! J’en avais un jadis, chien d’arrêt, instinct surprenant. Je chasse un jour, j’entre dans un enclos, je siffle, chien immobile ; je siffle encore ; Ponto ! Inutile ; bouge pas. Ponto ! Ponto ! il ne remue pas. Chien pétrifié, en arrêt devant un écriteau. Une inscription. Les gardes-chasse ont ordre de tuer tous les chiens qu’ils trouveront dans cet enclos. Il ne voulait pas avancer. Chien étonnant. Fameuse bête, oh ! oui, fameuse !

  1. Charles Ier, décapité sur un échafaud, dressé contre une des fenêtres du palais et par où il sortit. (Note du traducteur.)
  2. Exemple remarquable de la force prophétique de l’imagination de M. Jingle quand on pense que ce dialogue a lieu en 1827 et que la révolution est de 1830. (Note de l’auteur.)