Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/200

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comme la vieille face continuait à cligner de l’œil aussi vite qu’un œil peut cligner, Tom lui dit d’un ton courroucé :

« Pourquoi diantre me faites-vous toutes ces grimaces-là ?

— Parce que cela me plaît, Tom Smart, » répondit le fauteuil, ou le vieux gentleman, comme vous voudrez l’appeler. Cependant il cessa de cligner de l’œil, mais il se mit à ricaner en montrant ses dents, comme un vieux singe décrépit.

« Comment savez-vous mon nom, vieille face de casse-noisettes ? demanda Tom un peu ébranlé, quoiqu’il voulût avoir l’air de faire bonne contenance.

— Allons ! allons ! Tom, ce n’est pas comme cela qu’on doit parler à de l’acajou massif. Dieu me damne ! on ne traiterait pas ainsi le plus mince plaqué. » En disant ces mots, le vieux gentleman avait l’air si féroce, que Tom commença à s’effrayer.

« Je n’avais pas l’intention de vous manquer de respect, monsieur, répondit-il d’un ton beaucoup plus humble.

— Bien ! bien ! reprit le bonhomme ; je le crois, je le crois. Tom ?

— Monsieur ?

— Je sais toute votre histoire, Tom ; toute votre histoire. Vous n’êtes pas riche, Tom.

— C’est vrai ; mais comment savez-vous… ?

— Cela n’y fait rien. Écoutez-moi, Tom : Vous aimez trop le punch. »

Tom était sur le point de protester qu’il n’en avait pas tâté une goutte depuis le dernier anniversaire de sa fête, lorsque ses yeux rencontrèrent ceux du fauteuil. Il avait l’air si malin, que Tom rougit, et garda le silence.

« Tom ! la veuve est une belle femme : une femme bien appétissante ! eh ! Tom ? » En parlant ainsi, le vieil amateur tourna la prunelle, fit claquer ses lèvres, et releva une de ses petites jambes grêles d’un air si roué, que Tom prit en dégoût la légèreté de ses manières, à son âge surtout.

« Tom ! reprit le vieux gentleman, je suis son tuteur.

— Vraiment ?

— J’ai connu sa mère, Tom, et sa grand’mère aussi. Elle était folle de moi. C’est elle qui m’a fait ce gilet-là, Tom.

— Oui-da !

— Et ces pantoufles-là, continua le vieux camarade en levant un de ses échalas. Mais n’en parlez pas, Tom ; je ne voudrais