Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/311

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M. Heyling vint passer des jours entiers dans l’étude, courbé sur les papiers qui s’accumulaient, à mesure qu’on commençait poursuite après poursuite, procès après procès. Il relisait, avec des yeux étincelants de joie, les demandes de délai, les lettres de supplication, les représentations de la ruine certaine que l’autre partie devait subir. À toutes ces prières pour un peu d’indulgence, il n’y avait qu’une seule réponse : Il faut payer. Les terres, les maisons, les meubles furent vendus tour à tour, et le vieillard lui-même aurait été claquemuré dans une prison, s’il n’était parvenu à s’enfuir, en trompant la vigilance du garde chargé de sa capture.

Bien loin d’être rassasiée par le succès, l’implacable animosité de Heyling semblait s’accroître avec la ruine qu’il infligeait. Sa furie fut sans bornes lorsqu’il apprit la fuite du vieillard. Dans sa rage il grinçait des dents, il arrachait ses cheveux, et il chargeait d’imprécations horribles les hommes à qui on avait confié l’exécution de la prise de corps. Enfin on ne put lui rendre une espèce de calme que par des assurances répétées que le fugitif serait certainement découvert. On envoya des gens dans toutes les directions, on eut recours à tous les stratagèmes imaginables, pour apprendre le lieu de sa retraite ; mais ce fut en vain, et six mois se passèrent sans qu’il fût possible de le retrouver.

Un soir, à une heure avancée, Heyling, dont on n’avait pas entendu parler depuis plusieurs semaines, se rendit à la résidence privée de son avoué et lui fit dire que quelqu’un demandait à lui parler sur-le-champ. L’avoué avait reconnu la voix du haut de l’escalier ; mais avant qu’il eût pu donner l’ordre de l’introduire, Heyling avait franchi les degrés et était entré, pâle, palpitant, dans le salon. Après avoir fermé la porte, de peur d’être entendu, il se laissa tomber sur un siége, et dit d’une voix basse :

« Je l’ai trouvé, à la fin !

— Bah ! fit l’avoué. Très-bien, monsieur, très-bien.

— Il est caché dans un misérable logement à Camden. Peut-être est-ce aussi bien que nous l’ayons perdu de vue, car il a vécu là tout seul et dans la plus abjecte misère. Il est pauvre, très-pauvre.

— Très-bien, dit l’avoué. Vous ferez faire sa capture demain, naturellement.

— Oui… attendez… non, le jour d’après. Vous êtes surpris que je désire reculer, ajouta le client avec un affreux sourire ;