Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/329

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prenant celle-ci pour la mienne. Je n’y étais pas depuis cinq minutes lorsque vous êtes entrée tout d’un coup.

— Si cette histoire improbable est réellement vraie, monsieur, répliqua la dame en sanglotant violemment, vous quitterez cette chambre sur-le-champ.

— Oui, madame, avec le plus grand plaisir.

— Sur-le-champ ! monsieur.

— Certainement, madame, certainement. Je… je suis très-fâché, madame, poursuivit M. Pickwick en faisant son apparition au pied du lit ; très-fâché d’avoir été la cause innocente de cette alarme et de cette émotion ; profondément affligé, madame… »

La dame montra la porte. Dans ce moment critique, dans cette situation si embarrassante, une des excellentes qualités de M. Pickwick se déploya encore admirablement. Quoiqu’il eût placé à la hâte son chapeau sur son bonnet de coton, à la manière des patrouilles bourgeoises, quoiqu’il portât ses souliers et ses guêtres dans ses mains, et son habit et son gilet sur son bras, rien ne put diminuer sa politesse naturelle.

« Je suis excessivement fâché, madame, dit-il en saluant très-bas.

— Si vous l’êtes, monsieur, vous quitterez cette chambre sur-le-champ.

— Immédiatement, madame. À l’instant même, madame, dit M. Pickwick en ouvrant la porte et en laissant tomber ses souliers avec grand fracas. Je me flatte, madame, reprit-il en ramassant ses chaussures et en se retournant pour saluer encore, je me flatte que mon caractère sans tache et le respect plein de dévotion que je professe pour votre sexe plaideront en ma faveur dans cette circonstance. » Mais avant qu’il eût pu conclure cette sentence, la dame l’avait poussé dans le passage, et avait fermé et verrouillé la porte derrière lui.

Quelque satisfaction que notre philosophe dût ressentir d’avoir terminé aussi aisément cette épouvantable aventure, sa situation présente n’était nullement agréable. Il était seul, à moitié habillé, dans un passage ouvert, dans une maison inconnue, au milieu de la nuit. Il n’était pas supposable qu’il pût retrouver, dans une parfaite obscurité, la chambre qu’il n’avait pu découvrir lorsqu’il était armé d’une lumière, et s’il faisait le plus petit bruit, dans ses inutiles recherches, il courait la chance de recevoir un coup de pistolet et peut-être d’être tué par quelque voyageur réveillé en sursaut. Il n’avait