Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/72

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du potager et en regardant le cheval d’un air soupçonneux ; maîtresse ! »

Une grande femme osseuse et toute droite du haut en bas répondit à cet appel. Elle était couverte d’un gros sarrau bleu, et sa taille se trouvait à un pouce ou deux de ses aisselles.

« Ma bonne femme, dit M. Pickwick en s’approchant et en faisant usage de sa voix la plus insinuante, pouvons-nous laisser ce cheval ici ? »

Le paysan dit quelque chose à l’oreille de la grande femme. Celle-ci regarda toute la caravane du haut en bas, et, après un instant de réflexion, répondit : « Non, je n’en avons pas le cœur !

— Le cœur ! répéta M. Pickwick ; qu’est-ce qu’elle parle de son cœur ?

— J’avons été inquiétée pour ça l’autre fois, dit la femme, en rentrant dans la maison, et je ne voulons pu rien y voir.

— Voilà la chose la plus extraordinaire qui me soit jamais arrivée dans tous mes voyages, s’écria M. Pickwick, rempli d’étonnement.

— Je crois… je crois réellement, murmura M. Winkle à ses amis, je crois qu’ils nous soupçonnent d’avoir dérobé ce cheval.

— Comment ! s’écria M. Pickwick, avec une explosion d’indignation. M. Winkle répéta modestement l’opinion qu’il venait d’émettre.

— Ohé ! l’homme ! cria M. Pickwick, irrité, pensez-vous donc que nous avons volé ce cheval ?

— Je ne le crois pas, j’en suis sûr ! répondit l’homme à la tête rouge, avec une espèce de sourire qui agita toute sa physionomie de l’une à l’autre oreille ; et en parlant ainsi, il entra dans la maison, dont il ferma soigneusement la porte.

— C’est comme un rêve ! s’écria M. Pickwick, un hideux cauchemar ! Ô ciel ! imaginez-vous un homme marchant toute une journée, poursuivi par un cheval épouvantable, dont il ne peut pas se débarrasser !

Les pickwickiens abattus se remirent tristement en route, l’énorme quadrupède, pour qui ils ressentaient le plus profond dégoût, marchant lentement sur leurs talons.

L’après-midi était fort avancée lorsque nos quatre amis, toujours suivis du malencontreux animal, arrivèrent enfin dans la ruelle qui conduisait à Manoir-ferme. Mais quoiqu’ils touchassent au terme de leurs fatigues, leur satisfaction était prodigieusement amortie par l’absurde singu-