Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/188

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bas blancs extrêmement sales. Enfin il y avait dans tout ce personnage une sorte de recherche grossière et de friponnerie impudente, qui valaient un monceau d’or.

Ce fut lui qui le premier aperçut M. Pickwick. Il cligna de l’œil au zéphyre, et l’engagea avec une gravité moqueuse, à ne point réveiller le gentleman.

« Comment, dit le zéphyre en se retournant, et en affectant la plus grande surprise ; est-ce que le gentleman est réveillé ! Mais oui, il est réveillé !… Heim !… Cette citation est de Shakspeare !… Comment vous portez-vous, monsieur ? Comment vont Mary et Sarah, monsieur ? Et la chère vieille dame qu’est à la maison, monsieur ? Eh ! monsieur, Voudriez-vous avoir la bonté de leur transmettre mes compliments dans le premier petit paquet que vous enverrez par là, monsieur, en ajoutant que je les aurais envoyés auparavant si je n’avais pas eu peur qu’ils soient cassés dans la charrette, monsieur.

— N’ennuyez donc pas le gentleman de civilités banales, quand vous voyez qu’il meurt d’envie de boire quelque chose, reprit d’un air jovial le gentleman aux favoris. Pourquoi ne lui demandez-vous pas ce qu’il veut prendre ?

— Nom d’un tonnerre ! je l’avais oublié, s’écria l’autre. Qu’est-ce que vous voulez prendre, monsieur ? Voulez-vous prendre du vin de Porto, monsieur ? ou du Xérès ? Je puis vous recommander l’ale, monsieur. Ou peut-être que vous voudriez tâter du Porter ? Permettez-moi d’avoir le plaisir d’accrocher votre casque à mèche, monsieur. »

En disant ceci, l’orateur enleva la coiffure de M. Pickwick, et la fixa en un clin d’œil sur celle de l’homme ivre, qui continuait à bourdonner ses chansons comiques, de la manière la plus lugubre qu’on puisse imaginer, mais avec la ferme persuasion qu’il enchantait une société nombreuse et choisie.

Malgré tout le sel qu’il y a à enlever violemment le bonnet de nuit d’un homme, et à l’ajuster sur la tête d’un gentleman inconnu, dont l’extérieur est notoirement malpropre, c’est là certainement une plaisanterie assez hasardée. Considérant la chose précisément à ce point de vue, M. Pickwick, sans avoir donné le moindre avertissement préalable de son dessein, s’élança vigoureusement hors de son lit, donna au zéphyre dans l’estomac, un coup de poing assez vigoureux pour le priver d’une portion considérable du souffle que la nature a jugé nécessaire aux organes respiratoires, puis, ayant récupéré son bonnet, se plaça hardiment dans une posture de défense.