Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/259

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— Cela se peut, madame… cela se peut, murmura doucement la locataire du premier étage.

— La campagne, fit observer M. Raddle, en retrouvant un peu d’assurance et de gaieté, la campagne est très-bonne pour les personnes seules, qui n’ont personne qui se soucisse d’elles, ou pour les personnes qui ont eu des peines de cœur, et toutes ces sortes de choses. La campagne pour une âme blessée, dit le poëte… »

Or, de toutes les paroles que pouvait proférer le malheureux gentleman, celles-ci étaient indubitablement les plus mal trouvées. En effet, à cette citation, Mme Bardell ne manqua pas de fondre en larmes, et voulut quitter la table sur-le-champ ; ce que voyant, son tendre fils se mit à pousser des cris affreux.

« Est-il possible, s’écria Mme Raddle, en se tournant avec fureur vers la locataire du premier étage, est-il possible qu’une femme soit mariée à un être aussi insupportable, qui se fait un jeu de blesser sa sensibilité à chaque instant de la journée.

— Ma chère, dit M. Raddle d’une voix plaintive, je n’avais pas la moindre pensée…

— Vous n’aviez pas la moindre pensée, répéta Mme Raddle avec un noble dédain. Allez-vous-en ; je ne puis plus vous voir ; vous êtes une brute.

— Ne vous tourmentez pas, Mary-Ann, interrompit mistress Cluppins. Il faut vraiment faire attention à votre santé ma chère, vous n’y songez pas assez. Allez-vous-en, Raddle, comme une bonne âme. Elle est toujours plus mal quand elle vous voit.

— Oui, oui, dit Mme Rogers, en appliquant sur nouveaux frais son flacon, vous ferez bien de prendre votre thé tout seul, monsieur. »

Mme Sanders qui, suivant sa coutume, était fort occupée du pain et du beurre, exprima la même opinion, et Raddle se retira sans souffler mot.

Après cela, les dames s’empressèrent d’élever Master Bardell dans les bras de sa mère, mais comme il était un peu grand pour cette manœuvre enfantine, ses bottines s’embarrassèrent dans la table à thé, et occasionnèrent quelque confusion parmi les tasses et les soucoupes. Heureusement que cette espèce d’attaque, qui est contagieuse chez les dames, dure rarement longtemps : aussi, après avoir bien embrassé son bambin, après avoir pleuré sur ses cheveux, Mme Bardell revint à elle, le remit par terre, s’étonna d’avoir été si peu raisonnable, et se versa une autre tasse de thé.