Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/261

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n’était nullement désagréable à Mme Bardell. En effet, elle pouvait raisonnablement espérer que cela la rehausserait dans l’opinion de sa locataire. Elle fit quelques minauderies, affecta beaucoup de vexation et d’hésitation, mais elle conclut, à la fin, qu’elle ferait bien de s’en aller. Ensuite elle ajouta d’une voix persuasive : « Vous vous rafraîchirez bien un peu après votre course, monsieur Jackson ?

— Réellement, il n’y a pas beaucoup de temps à perdre ; et puis j’ai là un ami, répondit Jackson en montrant l’homme au bâton de frêne.

— Oh ! mais, monsieur, faites entrer votre ami.

— Mais… je vous remercie, répliqua Jackson avec quelque embarras. Il n’est pas habitué à la société des dames, et cela le rend tout timide. Si vous voulez ordonner au garçon de lui porter quelque chose, je ne suis pas bien sûr qu’il le boive, mais vous pouvez essayer. » Vers la fin de ce discours, les doigts de M. Jackson se jouaient plaisamment autour de son nez, pour avertir ses auditeurs qu’il parlait ironiquement.

Le garçon fut immédiatement dépêché vers le gentleman timide, qui consentit à prendre quelque chose. M. Jackson prit aussi quelque chose, et les dames en firent autant, par pur esprit d’hospitalité. M. Jackson ayant alors déclaré qu’il était temps de partir, Mme Sanders, Mme Cluppins et Tommy grimpèrent dans la voiture, laissant les autres dames sous la protection de M. Raddle. Mme Bardell monta la dernière.

« Isaac, dit alors Jackson, en regardant son ami qui était assis sur le siége, et fumait un cigare.

— Eh bien ?

— Voilà madame Bardell.

— Oh ! il y a longtemps que je le savais. »

Mme Bardell étant entrée dans le carrosse, M. Jackson s’y plaça après elle, et les chevaux partirent. Chemin faisant, Mme Bardell admirait la perspicacité de l’ami de M. Jackson, « Que ces hommes de loi sont malins ! pensait-elle ; comme ils reconnaissent les gens ! »

Au bout de peu de temps Mme Cluppins et Mme Sanders s’étant endormies, M. Jackson dit à la veuve du douanier : « Savez-vous que les frais de votre affaire sont bien lourds ?

— Je suis fâchée que vous ne puissiez pas les faire payer, répondit celle-ci. Mais dame ! puisque vous entreprenez les choses par spéculation, il faut bien que vous buviez un bouillon de temps en temps.