Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/301

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oncle. Seulement si ceci est une chambre particulière, préparée exprès, j’imagine que la salle publique doit être joliment confortable ! »

En disant cela, mon oncle s’établit dans un grand fauteuil et mesura de l’œil les deux gentlemen, si exactement, que Tiggin et Welps auraient pu leur fournir l’étoffe d’un habit, sans y mettre un pouce de plus ni de moins.

« Quittez cette chambre ! dirent les deux hommes ensemble, en saisissant leurs épées.

— Hein ? fit mon oncle, sans avoir l’air de comprendre ce qu’ils voulaient dire.

— Quittez cette chambre, ou vous êtes mort ! dit l’homme de mauvaise mine, en mettant sa grande flamberge au vent, et en la faisant voltiger au-dessus de sa tête.

— Tue ! tue ! s’écria l’homme à l’habit bleu, en dégainant aussi son épée et en reculant deux ou trois pas. Tue ! tue ! »

La dame jeta un grand cri.

Mon oncle, gentlemen, était remarquable pour sa hardiesse et pour sa présence d’esprit. Pendant tout le temps qu’il avait paru si indifférent à ce qui se passait, il était occupé à chercher, sans en faire semblant, quelques projectiles ou quelque arme défensive ; et au moment même où les épées furent tirées, il aperçut, dans le coin de la cheminée, une vieille rapière à coquille, avec un fourreau rouillé. D’un seul bond, mon oncle l’atteignit, la tira, la fit tourner rapidement au-dessus de sa tête, cria à la jeune dame de se retirer dans un coin, lança le fourreau à l’homme de mauvaise mine, jeta une chaise au gentilhomme en habit bleu, et prenant avantage de leur confusion, tomba sur tous les deux, pêle-mêle.

Il y a une vieille histoire, qui n’en est pas moins bonne pour être vieille, concernant un jeune gentleman irlandais, à qui l’on demandait s’il jouait du violon : « Je n’en sais rien, répondit-il ; car je n’ai jamais essayé. » Ceci pourrait fort bien s’appliquer à mon oncle et à son escrime. Il n’avait jamais tenu une épée dans sa main, si ce n’est une fois, en jouant Richard III sur un théâtre d’amateurs ; et encore, dans cette occasion, il avait été convenu que Richmond le tuerait par derrière, sans faire le simulacre du combat ; mais ici, voilà qu’il faisait assaut avec deux habiles tireurs, poussant de tierce et de quarte, parant, se fendant, et combattant enfin de la manière la plus courageuse et la plus adroite, quoique jusqu’à ce moment il ne se fût pas douté qu’il eût la plus légère notion de