Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/326

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— Gardez-vous bien de murmurer mon nom. Nous sommes dans un pays jaune : si la population irritable savait que je suis ici, elle me déchirerait en lambeaux.

— En vérité, monsieur ?

— Oui ; je serais la victime de leur furie. Mais maintenant jeune homme, qu’est-ce que vous disiez de votre maître ?

— Qu’il passe la nuit dans cette auberge, avec une couple d’amis.

— M. Winkle en est-il ? demanda M. Pott en fronçant légèrement le sourcil.

— Non, monsieur, il reste chez lui maintenant. Il est marié.

— Marié ! s’écria Pott avec une véhémence effrayante. Il s’arrêta, sourit d’un air sombre, et ajouta à voix basse et d’un ton vindicatif : C’est bien fait, il n’a que ce qu’il mérite. »

Ayant ainsi exhalé, avec un sauvage triomphe, sa mortelle malice envers un ennemi abattu, M. Pott demanda si les amis de M. Pickwick étaient bleus, et l’intelligent valet, qui en savait à peu près autant que l’éditeur lui-même, ayant fait une réponse très-satisfaisante, M. Pott consentit à l’accompagner dans la chambre de M. Pickwick. Il y fut reçu avec beaucoup de cordialité, et l’on convint de dîner en commun.

Lorsque M. Pott eut pris son siége près du feu, et lorsque nos trois voyageurs eurent ôté leurs bottes mouillées et mis des pantoufles : « Comment vont les affaires à Eatanswill ? demanda M. Pickwick. L’Indépendant existe-t-il toujours ?

L’Indépendant, monsieur, répliqua Pott, traîne encore sa misérable et languissante carrière, abhorré et méprisé par le petit nombre de ceux qui connaissent sa honteuse et méprisable existence ; suffoqué lui-même par les ordures qu’il répand en si grande profusion, assourdi et aveuglé par les exhalaisons de sa propre fange, l’obscène journal, sans avoir la conscience de son état dégradé, s’enfonce rapidement sous la vase trompeuse qui semble lui offrir un point d’appui solide auprès des classes les plus basses de la société, mais qui, s’élevant par degré au-dessus de sa tête détestée, l’engloutira bientôt pour toujours. »

Ayant débité avec véhémence ce manifeste, tiré de son dernier article politique, l’éditeur s’arrêta pour prendre haleine, puis regardant majestueusement Bob : « Vous êtes jeune, monsieur, » lui dit-il.

M. Sawyer inclina la tête.

« Et vous aussi, monsieur, » ajouta Pott en s’adressant à M. Ben Allen.