Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/331

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— Oui, monsieur. »

L’hôte arriva bientôt après.

« Êtes-vous le maître de l’hôtel ? demanda l’étranger.

— Oui, monsieur.

— Me connaissez-vous ?

— Je n’ai pas ce plaisir-là, monsieur.

— Mon nom est Slurk. »

L’hôte inclina légèrement la tête.

« Slurk, monsieur ! répéta le gentleman d’un air hautain. Me connaissez-vous, maintenant, aubergiste ? »

L’hôte se gratta la tête, regarda le plafond, puis l’étranger, et sourit faiblement.

« Me connaissez-vous ? »

L’hôte parut faire un grand effort, et répondit à la fin :

« Non monsieur, je ne vous connais pas.

— Grand Dieu ! s’écria l’étranger en frappant la table de son poing ; voilà donc ce que c’est que la popularité ! »

L’hôte recula d’un pas ou deux vers la porte, et l’étranger poursuivit, en le suivant des yeux :

« Voilà donc la reconnaissance que l’on accorde à des années d’étude et de travail, sacrifiées en faveur des masses ! Je descends de voiture, mouillé, fatigué, et les habitants ne s’empressent point pour féliciter leur champion ; leurs cloches sont silencieuses ; mon nom même ne réveille aucune gratitude dans leur esprit plein de torpeur. N’est-ce pas assez, continua M. Slurk en se promenant avec agitation, n’est-ce pas assez pour faire bouillonner l’encre d’un homme dans sa plume, et pour le décider à abandonner leur cause à jamais !

— Monsieur demande un grog à l’eau-de-vie ? dit l’hôte en hasardant une insinuation.

— Au rhum ! répondit Slurk en se tournant vers lui d’un air farouche. Avez-vous du feu quelque part ?

— Nous pouvons en allumer sur-le-champ, monsieur.

— Oui ! et qu’il donne de la chaleur à l’instant de me coucher. Y a-t-il quelqu’un dans la cuisine ?

— Pas une âme, monsieur. Il y a un feu superbe ; tout le monde s’est retiré et la porte est fermée pour la nuit.

— C’est bien ! je boirai mon grog près du feu de la cuisine. »

Et là-dessus, reprenant majestueusement son chapeau et son journal, l’étranger marcha d’un pas solennel derrière l’hôte. Arrivé dans la cuisine, il se jeta sur un siége, au coin du feu,