Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/370

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— Eh ! mais, Joseph, s’écria Mary, en affectant de rougir, qu’est-ce que vous voulez dire ? »

Le gros joufflu, reprenant graduellement sa première position, répliqua seulement par un profond soupir, resta pensif pendant quelques minutes, et but une longue gorgée de porter. Après quoi, il soupira encore, et s’appliqua très-solidement au pâté.

« Quelle aimable personne que miss Émilie ! dit Mary, après un long silence.

— J’en connais une plus aimable.

— En vérité ?

— Oui, en vérité, répliqua le gros joufflu, avec une vivacité inaccoutumée.

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Comment vous appelez-vous ? »

— Mary.

— C’est son nom. C’est vous. »

Le gros garçon, pour rendre ce compliment plus incisif, y joignit une grimace, et donna à ses deux prunelles une combinaison de loucherie, croyant ainsi, selon toute apparence, lancer une œillade meurtrière.

« Il ne faut pas me parler comme cela, dit Mary. Vous ne me parlez pas sérieusement.

— Bah ! que si, je dis.

— Eh bien ?

— Allez-vous venir ici régulièrement ?

— Non, je m’en vais demain soir.

— Oh ! reprit le gros joufflu, d’un ton prodigieusement sentimental, comme nous aurions eu du plaisir à manger ensemble, si vous étiez restée !

— Je pourrais peut-être venir quelquefois, ici, pour vous voir, si vous vouliez me rendre un service, » répondit Mary, en roulant la nappe pour jouer l’embarras.

Le gros joufflu regarda alternativement le pâté et la grillade, comme s’il avait pensé qu’un service devait être lié en quelque sorte avec des comestibles ; puis, tirant de sa poche une de ses demi-couronnes, il la considéra avec inquiétude.

« Vous ne me comprenez pas ? » poursuivit Mary, en regardant finement son large visage.

Il considéra sur nouveaux frais la demi-couronne, et répondit faiblement : non.

« Les ladies voudraient bien que vous ne parliez pas au