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Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/41

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une politesse hautaine ; parfaitement, monsieur ; et vous voudrez bien alors vous contenter de briser les bras et les jambes du pauvre monde, dans les hôpitaux, et vous tenir à votre place. Autrement il y aura peut-être ici quelque personne qui vous y fera tenir, monsieur.

— Mais vous êtes une femme si peu raisonnable…, dit Benjamin.

— Je vous demande excuse, jeune homme, s’écria mistress Raddle, que la colère inondait d’une sueur froide. Voulez-vous avoir la bonté de répéter un peu ce mot-là ?

— Madame, répondit Benjamin, qui commençait à devenir inquiet pour son propre compte, je n’attachais pas d’offense à cette expression.

— Je vous demande excuse, jeune homme, reprit mistress Raddle d’un ton encore plus impératif et plus élevé. Qui avez-vous appelé une femme ? Est-ce à moi que vous adressez cette remarque-là, monsieur ?

— Eh ! mon Dieu !… fit Benjamin.

— Je vous demande, oui ou non, si c’est à moi que vous appliquez ce nom-là, monsieur ? interrompit mistress Raddle avec fureur, en ouvrant la porte toute grande.

— Eh !… oui !… parbleu ! confessa le pauvre étudiant.

— Oui, parbleu ! reprit mistress Raddle en reculant graduellement jusqu’à la porte, et en élevant la voix à sa plus haute clef, pour le bénéfice spécial de M. Raddle, qui était dans la cuisine. En effet, chacun sait qu’on peut m’insulter dans ma propre maison, pendant que mon mari roupille en bas, sans faire plus d’attention à moi qu’à un caniche. Il devrait rougir (ici mistress Raddle commença à sangloter) ; il devrait rougir de laisser traiter sa femme comme la dernière des dernières, par des bouchers de chair humaine qui déshonorent le logement (autres sanglots). Le poltron ! le sans cœur ! qui laisse sa femme exposée à toutes sortes d’avanies ! Voyez-vous, le capon ; il a peur de monter pour corriger ces bandits-là ! Il a peur de monter ! Il a peur de monter ! »

Ici mistress Raddle s’arrêta pour écouter si la répétition de ce défi avait réveillé sa meilleure moitié. Voyant qu’elle n’y pouvait réussir, elle commençait à descendre l’escalier en poussant d’innombrables sanglots, lorsqu’un double coup de marteau retentit violemment à la porte de la rue. Elle y répondit par des gémissements qui duraient encore au sixième coup frappé par le visiteur ; puis, à la fin, dans un accès ir-