Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

forcément pour la première fois, l’irritation temporaire et l’anxiété dont ils sont atteints. Sam n’ignorait pas cela, il savait se prêter philosophiquement aux faiblesses de la nature humaine ; aussi exécuta-t-il toutes les fantaisies de son maître, avec cette bonne humeur imperturbable qui formait l’un des traits les plus frappants et les plus aimables de son caractère.

Il s’était réconforté avec un petit dîner fort agréable, et attendait à la buvette la chaude mixture que M. Pickwick l’avait engagé à prendre pour noyer les fatigues de ses promenades matinales, lorsqu’un jeune garçon, dont la casquette à poil, la jaquette de flanelle et toute la tournure, annonçaient qu’il avait la louable ambition d’atteindre un jour la dignité de palefrenier, entra dans le passage du George et Vautour, et regarda d’abord sur l’escalier, ensuite le long du corridor puis enfin dans la buvette, comme s’il avait cherché quelqu’un pour qui il aurait eu une commission.

La demoiselle de comptoir ne considérant pas comme improbable que ladite commission eût pour objet l’argenterie de l’établissement, accosta en ces termes l’indiscret personnage :

« Eh bien ! jeune homme, qu’est-ce que vous voulez ?

— Y a-t-il ici quettes un appelé Sam ? répondit le gamin d’une voix de fausset.

— Et l’aut’ nom ? demanda Sam en se retournant.

— Est-ce que j’ sais, moi, rétorqua vivement le jeune gentleman à la casquette velue.

— Vous avez l’air joliment fin, mon p’tit, mais à vot’ place, je ne ferais pas trop voir ma finesse ici, on pourrait vouloir vous l’émousser. Qu’est-ce que ça veut dire de venir dans un hôtel, demander après Sam, avec autant de politesse qu’un sauvage indien ?

— Parce qu’i’ y a un vieux qui me l’a dit.

— Quel vieux ? demanda Sam avec un profond dédain.

— Celui-là qui conduit la voiture d’Ipswick et qui remise à not’ auberge. Il m’a dit hier matin de venir c’t’ après-midi au George et Vautour, et de demander Sam.

— C’est mon auteur, ma chère, dit Sam, en se tournant d’un air explicatif vers la demoiselle de comptoir. Dieu me bénisse s’il sait mon autre nom ! Eh bien ! jeune chou frisé qu’est-ce qu’il y a encore ?

— Y a qu’i’ dit que vous veniez chez nous à six heures, parce qu’i’ veut vous voir, à l’Ours Bleu, près du marché de Leadenhall. J’y dirai-t-i’ que vous viendrez ?