Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/75

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tlemen, une veuve. Feu M. Bardell, après avoir joui, pendant beaucoup d’années, de l’estime et de la confiance de son souverain, comme l’un des gardiens de ses revenus royaux, s’éloigna presque imperceptiblement de ce monde, pour aller chercher ailleurs le repos et la paix, que la douane ne peut jamais accorder. »

À cette poétique description du décès de M. Bardell (qui avait eu la tête cassée d’un coup de pinte dans une rixe de taverne), la voix du savant avocat trembla et s’éteignit un instant. Il continua avec grande émotion.

« Quelque temps avant sa mort, il avait imprimé sa ressemblance sur le front d’un petit garçon. Avec ce petit garçon, seul gage de l’amour du défunt douanier, Mme Bardell se cacha au monde et rechercha la tranquillité de la rue Goswell. Là elle plaça à la croisée de son parloir un écriteau manuscrit portant cette inscription : Appartement de garçon à louer en garni ; s’adresser au rez-de-chaussée. »

Ici Me Buzfuz fit une pause, tandis que plusieurs gentlemen du jury prenaient note de ce document.

« Est-ce qu’il n’y a point de date à cette pièce ? demanda un juré.

— Non, monsieur, il n’y a point de date, répondit l’avocat. Mais je suis autorisé à déclarer que cet écriteau fut mis à la fenêtre de la plaignante il y a justement trois années. J’appelle l’attention du jury sur les termes de ce document : Appartement de garçon à louer en garni. Messieurs, l’opinion que Mme Bardell s’était formée de l’autre sexe était dérivée d’une longue contemplation des qualités inestimables de l’époux qu’elle avait perdu. Elle n’avait pas de crainte ; elle n’avait pas de méfiance ; elle n’avait pas de soupçons ; elle était tout abandon et toute confiance. M. Bardell, disait la veuve, M. Bardell était autrefois garçon ; c’est à un garçon que je demanderai protection, assistance, consolation. C’est dans un garçon que je verrai éternellement quelque chose qui me rappellera ce qu’était M. Bardell, quand il gagna mes jeunes et vierges affections ; c’est à un garçon que je louerai mon appartement. Entraînée par cette belle et touchante inspiration (l’une des plus belles inspirations de notre imparfaite nature, gentlemen), la veuve solitaire et désolée sécha ses lames, meubla son premier étage, serra son innocente progéniture sur son sein maternel, et mit à la fenêtre de son parloir l’écriteau que vous connaissez. Y resta-t-il longtemps ? Non. Le serpent était aux