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Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/103

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nain malicieux de fumer derechef, il tomba engourdi sur le canapé, où il dormit jusqu’au lendemain matin.

Tels furent les premiers actes de M. Quilp en prenant possession de sa nouvelle propriété. Durant quelques jours, le soin de ses affaires ne lui permit pas de se livrer à ses méchancetés favorites, car tout son temps se trouva rempli par le minutieux inventaire qu’il fit, de concert avec M. Brass, de ce que la maison contenait, et par la nécessité d’aller vaquer au dehors à ses autres occupations, ce qui heureusement lui demandait plusieurs heures par jour. Mais comme sa cupidité et sa méfiance étaient en jeu, notre nain ne passait jamais une nuit hors de la maison ; et comme, à mesure que le temps s’écoulait, Quilp éprouvait une plus vive impatience de voir la maladie du vieillard arriver à un résultat, soit bon, soit mauvais, il commença à faire entendre des murmures et des exclamations assez vives.

Nell ne cherchait qu’à se soustraire aux avances que lui faisait Quilp pour entrer en conversation avec elle ; le son de sa voix suffisait pour la mettre en fuite, et elle ne redoutait pas moins les sourires du procureur que les grimaces de Quilp. Elle vivait dans une continuelle appréhension de rencontrer sur l’escalier l’un ou l’autre, si elle avait à sortir de la chambre de son grand-père : aussi ne la quittait-elle guère avant la nuit, quand le silence l’encourageait à s’aventurer au dehors pour aller respirer un peu d’air plus pur dans quelque chambre vide.

Une nuit, elle s’était glissée jusqu’à sa fenêtre favorite et s’y était assise, pleine de chagrin, car la journée avait été mauvaise pour le vieillard. Elle crut entendre une voix dans la rue prononcer son nom ; et, s’avançant pour regarder, elle reconnut Kit, dont les efforts, pour fixer son attention, avaient réussi à la tirer de ses réflexions pénibles.

« Miss Nell ! … dit le jeune homme à voix basse.

— Eh bien ! répondit l’enfant, se demandant si elle devait avoir désormais rien de commun avec le coupable supposé, mais entraînée pourtant vers son ancien favori ; que désirez-vous ?

— Voilà longtemps que je veux vous dire un mot ; mais les gens qui sont en bas m’ont repoussé sans me permettre de vous voir. Vous ne croyez pas, je l’espère, miss, que j’aie mérité d’être chassé comme je l’ai été ? …

— Je dois le croire, au contraire ; autrement, pourquoi mon grand-père serait-il si fort en colère contre vous ?