Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/14

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le ciel leur ait départies ; c’est leur demander de partager nos chagrins avant l’heure où ils sont capables de s’associer à nos plaisirs.

— N’ayez pas peur de détruire chez elle ces qualités précieuses ; non, répondit le vieillard me regardant fixement, les sources en sont trop profondes. D’ailleurs, les enfants du pauvre connaissent peu le plaisir. Il faut acheter et payer jusqu’aux moindres jouissances de l’enfance.

— Mais… excusez la liberté de mon langage… vous n’êtes sans doute pas si pauvre ?

— Nelly n’est pas ma fille ; c’est sa mère qui était ma fille, et sa mère était pauvre. Je ne mets rien de côté ; rien, pas un sou, bien que je vive comme vous voyez. Mais (il posa sa main sur mon bras et s’inclina pour ajouter à demi-voix) elle sera riche un de ces jours ; elle deviendra une grande dame. Ne pensez pas mal de moi parce que j’use de son service. Elle est heureuse de me donner ses soins, vous avez pu en juger ; son cœur se briserait à l’idée que je pusse demander à toute autre personne ce que ses petites mains ont le courage d’entreprendre. Moi ! n’avoir pas souci de mon enfant !… cria-t-il tout à coup d’un accent plaintif. Dieu sait que cette enfant est l’unique pensée de ma vie, et cependant il ne me favorise pas ! Oh ! non, il ne me favorise pas ! »

En ce moment, celle qui faisait le sujet de notre conversation rentra, et le vieillard, m’invitant à me mettre à table, rompit l’entretien et retomba dans le silence.

Nous avions à peine commencé le repas, quand un coup fut frappé à la porte extérieure. Nelly, laissant échapper un joyeux éclat de rire qui me fit plaisir à entendre, car il était enfantin et plein d’expansion, s’écria :

« Nul doute, c’est ce vieux cher Kit qui revient enfin !

— Petite folle ! dit le grand-père en caressant les cheveux de sa Nelly ; toujours elle se moque du pauvre Kit. »

Un nouvel éclat de rire plus bruyant que le premier retentit encore, et, par sympathie, je ne pus me défendre d’y associer un sourire. Le petit vieillard prit une chandelle et alla ouvrir la porte. Lorsqu’il revint, Kit était derrière lui.

Kit était bien le garçon le plus grotesque qu’on puisse imaginer : lourd, gauche, avec une bouche démesurément grande, les joues fort rouges, un nez retroussé, et certainement l’expression