Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/278

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pendait de travers un rideau de laine verte fanée, tout noir, tout décoloré par le soleil, et tellement usé par ses longs services, qu’il semblait moins destiné à cacher la vue de cette chambre sombre qu’à servir de transparent pour en laisser étudier à l’aise les détails. Il est vrai qu’il n’y avait pas grand’chose à y contempler. Une table rachitique où s’étalaient avec ostentation de misérables liasses de papiers jaunis et usés à force d’avoir été portés dans la poche ; deux tabourets placés face à face aux côtés opposés de ce meuble détraqué ; au coin du foyer, un traître de vieux fauteuil boiteux qui, entre ses bras vermoulus, avait retenu plus d’un client pour aider à le dépouiller bel et bien ; en outre, une boîte à perruque, d’occasion, servant de réceptacle à des blancs seings, à des assignations ou autres pièces de procédure, depuis longtemps l’unique contenu de la tête qui appartenait à la perruque à qui appartenait la boîte elle-même ; deux ou trois livres de pratique usuelle ; une bouteille à l’encre, une poudrière, un vieux balai à cheminée, un tapis en lambeaux, mais tenant encore par les bords aux pointes fidèles avec une ténacité désespérée : telles étaient, avec les lambris jaunes des murailles, le plafond noirci par la fumée et couvert de poussière et de toiles d’araignée, les principales décorations du cabinet de M. Sampson Brass.

Mais cette peinture ne se rapporte qu’à la nature morte ; elle n’a pas plus d’importance que la plaque fixée sur la porte avec ces mots : Brass, procureur, ni que l’écriteau attaché au marteau : Premier étage à louer pour un monsieur seul. Le cabinet offrait habituellement deux spécimens de nature vivante beaucoup plus étroitement liés à notre récit, et qui auront pour nos lecteurs un intérêt bien plus vif, bien plus intime.

L’un était M. Brass lui-même, qu’on a vu déjà figurer dans ce livre ; l’autre était son clerc, son assesseur, son secrétaire, son confident, son conseiller, son démon d’intrigue, son auxiliaire habile à faire monter le chiffre des frais, miss Brass, en un mot, espèce d’amazone ès lois, à qui il convient de consacrer une courte description.

Miss Sally Brass était une personne de trente-cinq ans environ. Sa figure était maigre et osseuse. Elle avait un air résolu, qui non-seulement comprimait les douces émotions de l’amour et tenait à distance les admirateurs, mais qui était fait plutôt pour imprimer un sentiment voisin de la terreur dans le cœur de tous