Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/29

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che ? Combien de fois aurai-je à vous répéter que ma vie est toute de dévouement et d’abnégation, et que je suis pauvre ?

— Combien de fois aurai-je à vous répéter, dit l’autre en le regardant froidement, que je sais bien que ce n’est pas vrai ?

— C’est vous qui vous êtes mis où vous êtes, dit le vieillard, restez-y ; mais laissez-nous, Nelly et moi, travailler sans relâche.

— Nell sera bientôt une femme. Élevée à vous croire aveuglément, elle oubliera son frère s’il n’a soin de se montrer quelquefois à elle.

— Prenez garde, dit le vieillard, dont les yeux étincelèrent, qu’elle ne vous oublie quand vous souhaiteriez le plus de vivre dans sa mémoire. Prenez garde qu’un jour ne vienne où vous marcherez pieds nus dans les rues, tandis qu’elle vous éclaboussera dans son brillant équipage !

— C’est-à-dire quand elle aura votre argent. Voilà donc cet homme si pauvre !

— Et cependant, dit le vieillard laissant tomber sa voix et parlant en homme qui pense tout haut, combien nous sommes pauvres ! quelle vie que la nôtre ! Et quand on songe que c’est la cause d’une enfant, d’une enfant qui n’a jamais fait de tort ni de peine à personne, que nous soutenons… et que cependant nous ne réussissons à rien !… Espoir et patience ! c’est notre devise. Espoir et patience ! »

Ces paroles furent prononcées trop bas pour arriver aux oreilles des jeunes gens. M. Swiveller sembla penser que les mots inintelligibles marmottés par le vieillard étaient l’indice d’une lutte morale produite par la puissance de sa harangue ; car il toucha son ami du bout de sa canne en lui insinuant la conviction où il était, qu’il avait jeté « le grappin » sur le vieux, et qu’il comptait bien obtenir un droit de courtage sur les bénéfices. Peu de temps après, il s’aperçut de sa méprise ; il prit alors un air endormi et mécontent, et plus d’une fois il avait insisté sur ce qu’il était temps de partir promptement, lorsque la porte s’ouvrit et la petite fille parut en personne.