Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/42

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murât à l’oreille de sa voisine, que cette veuve se figurait probablement être l’objet des allusions de Betzy… et que pourtant ce n’était pas le Pérou.

« Ma mère sait, ajouta mistress Quilp, que je ne me trompe pas. Elle-même m’a souvent tenu ce langage avant mon mariage. N’est-il pas vrai, maman ? »

Cette question directe embarrassa singulièrement mistress Jiniwin, dont la position devenait des plus délicates ; car la respectable dame avait certainement travaillé d’une manière active à marier sa fille à M. Quilp ; et d’ailleurs, son orgueil maternel n’eût pas volontiers laissé s’accréditer l’idée qu’elle avait donné sa fille à un homme dont personne n’eût voulu. D’autre part, exagérer les qualités séduisantes de son gendre, c’eût été affaiblir la cause de la révolte, cette cause qu’elle avait embrassée avec ardeur. Partagée entre ces considérations contraires, mistress Jiniwin voulut bien reconnaître chez Quilp un esprit insinuant, mais elle lui refusa le droit de gouverner ; et, avec un compliment bien placé à l’adresse de la grosse dame, elle ramena la discussion au point de départ.

« Oh ! mistress George a dit une chose fort juste, fort sensée Si les femmes savaient seulement se respecter elles-mêmes !… Mais Betzy ne s’en doute pas, et c’est bien dommage ; j’en suis honteuse pour elle.

— Plutôt que de permettre à un homme de me mener comme Quilp la mène, dit mistress George, plutôt que de trembler devant un homme comme elle tremble devant lui, je… je me tuerais, après avoir commencé par écrire une lettre où je déclarerais que c’est lui qui m’a tuée ! »

Cette idée fut accueillie par un concert unanime d’approbations bruyantes. Alors une autre dame, des Minories, prit à son tour la parole en ces termes :

« M. Quilp peut être un homme très-séduisant, je le suppose, je n’en doute même pas, puisque mistress Quilp et mistress Jiniwin le disent : or, si quelqu’un doit le savoir, c’est elles, assurément. Mais il n’est pourtant pas ce qu’on appelle un joli garçon, encore moins un jeune homme, ce qui pourrait au moins lui servir de circonstance atténuante ; tandis que sa femme est jeune, agréable, et qu’enfin c’est une femme ; et c’est tout dire ! »

Ces dernières paroles, prononcées du ton le plus pathétique,