Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/108

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pour son heureux retour un intérêt sur lequel, tout bien considéré, il n’eût pas dû compter. Cependant Quilp ne s’en montra pas autrement ému, si ce n’est qu’il venait lui faire claquer ses doigts tout près des yeux avec des grimaces de triomphe et de dérision.

« Comment avez-vous pu aller si loin sans me dire un mot ou me donner de vos nouvelles ? demanda la pauvre petite femme en sanglotant. Comment avez-vous pu être si cruel, Quilp ?

— Comment j’ai pu être si cruel, si cruel ? s’écria le nain. Parce que c’était mon idée. C’est encore mon idée. Je serai cruel si cela me plaît. Je vais repartir.

— Oh ! non.

— Si fait. Je vais repartir. Je sors d’ici à l’instant. Mon projet est de m’en aller vivre là où la fantaisie m’en prendra, à mon débarcadère, à mon comptoir, et de faire le garçon. Vous étiez veuve par anticipation… Goddam ! eh bien ! moi, je vais, à partir d’aujourd’hui, me faire célibataire.

— Vous ne parlez pas sérieusement, Quilp !… dit la jeune femme en pleurant.

— Je vous dis, ajouta le nain s’exaltant à l’idée de son projet, que je vivrai en garçon, en vrai sans-souci ; j’aurai à mon comptoir mon logement de garçon, et approchez-en si vous l’osez. Ne vous imaginez pas que je ne pourrai point fondre sur vous à des heures inattendues ; car je vous épierai, j’irai et viendrai comme une taupe ou une belette. Tom Scott !… Où est-il, ce Tom Scott ?

— Je suis ici, monsieur, cria le jeune garçon au moment où Quilp ouvrait la croisée.

— Attendez, chien que vous êtes !… Vous allez avoir à porter la valise d’un célibataire. Faites-moi ma malle, mistress Quilp. Frappez chez la chère vieille dame pour qu’elle vienne vous aider, frappez ferme. Holà ! holà ! »

En jetant ces exclamations, M. Quilp s’empara du tisonnier, et, courant vers la porte du cabinet où couchait la bonne dame, il y heurta violemment jusqu’à ce qu’elle s’éveillât dans une terreur inexprimable. Elle pensait pour le moins que son aimable gendre avait l’intention de la tuer, afin de lui faire expier la critique de ses jambes. Sous cette idée qui la dominait, elle ne fut pas plutôt éveillée, qu’elle se mit à jeter des cris perçants, et elle se fût précipitée par la fenêtre si sa fille ne