Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/145

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— J’y ai vu des fleurs et des arbustes. Tenez, en voici là-bas. Je m’imaginais qu’ils avaient poussé par vos soins, quoiqu’ils soient bien chétifs.

— Ils poussent à la grâce de Dieu, et Dieu sans doute a ses raisons pour qu’ils ne se montrent pas ici dans tout leur éclat.

— Je ne vous comprends pas.

— Eh bien ! écoutez. Ces arbustes marquent les tombes de ceux qui avaient des amis tendres et dévoués.

— J’en étais sure !… s’écria l’enfant. Ils ont bien fait, vraiment : cela me fait plaisir à penser.

— Oui, répliqua le fossoyeur ; mais attendez. Regardez-les, ces arbustes ; voyez comme ils penchent leur tête, comme ils sont languissants, comme ils dépérissent. En devinez-vous la cause ?

— Non, répondit l’enfant.

— C’est que la mémoire de ceux qui sont couchés en ce lieu périt si vite ! D’abord on vient soigner ces fleurs le matin, vers midi et le soir ; bientôt les visites sont moins fréquentes ; une fois par jour, une fois par semaine ; d’une fois par semaine, elles arrivent à ne plus avoir lieu qu’une fois par mois ; puis les intervalles sont éloignés et incertains ; et enfin l’on ne vient plus du tout. Il est rare que ces marques de souvenir fleurissent longtemps. J’ai vu les fleurs d’été les plus passagères leur survivre presque toujours.

— Ce que vous m’apprenez là m’afflige extrêmement.

— Ah ! répondit le vieillard en hochant la tête, c’est ainsi que s’expriment les braves gens qui entrent ici pour parcourir notre cimetière ; mais moi je pense tout autrement. « C’est, me disent-ils, une louable habitude que vous avez dans ce pays de cultiver la terre autour des tombes, mais il est triste de voir toutes ces plantes s’étioler ou mourir. » Je leur demande pardon en leur répondant que, selon moi, c’est bon signe pour le bonheur de ceux qui survivent. C’est comme ça ; la nature le veut.

— Peut-être cela vient-il de ce que les parents qui les pleurent s’habituent à regarder dans le jour le ciel bleu, et pendant la nuit les étoiles, et à penser que les morts habitent là et non dans leurs tombeaux. »

L’enfant avait prononcé ces paroles avec chaleur. Ce fut d’un accent de doute que le vieillard lui répondit :

« Oui, peut-être. Ce n’est pas impossible.